Ces jeunes pour qui la mauvaise santé de la planète devient une obsession
Angoisse, colère, repli sur soi, certains jeunes se sentent tellement concernés par le dérèglement climatique que cela peut devenir central dans leur vie. Certain·es tombent en dépression, d’autres prennent des décisions radicales ou entament une thérapie.
Clémence montre le colibri tatoué sur son avant-bras gauche : « A l’époque, j’étais heureuse… mais dans le déni ». Ce tatouage, c’était tout un symbole pour la jeune femme de 28 ans. Trois ans en arrière, elle croyait encore « vachement aux petits gestes » pour sauver la planète. Devenue végétarienne durant ses études d’agronomie, et végane lors d’un stage dans un refuge pour animaux d’élevage, elle aimait l’idée de « faire sa part ». A l’image du colibri qui, dans une légende amérindienne reprise par Pierre Rabhi, aurait tenté d’éteindre un feu de forêt en arrosant le brasier des quelques gouttes d’eau contenues dans son bec.
Aujourd’hui, après avoir regardé beaucoup de documentaires sur la cause animale, la déforestation ou les migrations climatiques, elle ne croit plus que la mobilisation de chacun·e suffira à sauver la planète. « J’ai beaucoup pleuré quand j’ai pris conscience de tout ce qui allait arriver », se rappelle-t-elle, d’une voix posée.
« C’est dur de se sentir impuissante »
La désillusion a aussi été crescendo pour Lise Darbois. « Le premier confinement a été un déclic : j’ai réalisé que le changement climatique allait me toucher directement ». Sur les conseils d’activistes influents sur les réseaux sociaux, la lycéenne de 15 ans change ses habitudes de consommation. Elle arrête la viande et n’achète plus que des produits de seconde main. Comme son pantalon, trouvé au rayon homme d’Emmaüs ou les hauts récupérés dans la garde-robe de sa grand-mère.
Mais tous ses efforts sont douchés par une étude de l’institut Carbone 4, massivement relayée sur les groupes militants. En juin 2019, le cabinet de conseil spécialisé dans l’adaptation face au changement climatique estime que si tous les individus adoptaient un comportement parfaitement écologique, l’empreinte carbone globale ne diminuerait que de 20 %. Un score encore éloigné des -75 % nécessaires pour limiter le réchauffement à 2°C en 2100. « C’est dur de se sentir impuissante », commente la native de Montauban. Comme elle, 38 % des 18-34 ans se disent « très inquièt·es » face à la crise écologique (Ifop, octobre 2018). Une part sans commune mesure avec les autres classes d’âges.
« J’ai l’impression de me trouver face à un mur »
Un sentiment d’impuissance pour Lise, une révolte pour Maud Rebibou. En deuxième année de master « développement soutenable », Maud voit ses élans de colère se multiplier. « Je me mets à crier toute seule, à lancer des jurons sur les politiques parce que tout le monde sait que ça ne va pas, mais rien ne change », raconte l’étudiante lilloise de 23 ans. Et en famille, ce n’est pas mieux. « Chez moi, ils n’ont pas du tout la même conscience que moi de la gravité écologique, pointe-t-elle d’un ton désabusé, même quand je leur explique calmement, j’ai l’impression de me trouver face à un mur et je me mets à pleurer. »
Clémence se replie sur elle-même. « J’en suis arrivée à me disputer avec ma meilleure amie », qui devait prendre l’avion pour rejoindre une mission humanitaire en Colombie. Une aberration écologique pour Clémence qui boycotte l’aérien depuis 2018. Mais aussi l’occasion d’une remise en question : « Est-ce que ça vaut vraiment le coup de se battre si c’est pour me fâcher avec l’une des personnes que j’aime le plus ? ».
Réduire son empreinte écologique est également devenu une obsession pour Clémence. Depuis deux ans, elle calcule son bilan carbone annuel sur trois plateformes dédiées. « Plus il est bas, mieux je me porte », affirme-t-elle. Sauf que le premier bilan s’est avéré « très décevant » : « J’ai utilisé deux planètes et demie » en équivalent carbone.
Un résultat d’autant plus incompréhensible pour l’ingénieure agronome qui vient d’achever un tour de France à vélo. Six mois à vivre avec le « strict minimum ». Mais au bout du compte : « C’est l’ordinateur que j’ai acheté avant mon départ qui m’a mise dans le rouge », constate-t-elle, dépitée.
Aujourd’hui cheffe de rayon dans une grande enseigne du bio à Toulouse, Clémence se dit « heureuse » d’aller tous les jours au travail à vélo, désormais son unique mode de déplacement. Son VTT trône fièrement au milieu de son séjour. Une table, une chaise, un lit, l’impression que la jeune fille a emménagé la veille. « Ça me fait du bien de me dire que je n’ai que des choses vraiment utiles. » Dont un petit potager sur le balcon qui lui donne du baume au cœur.
C’est finalement une vidéo sur internet qui lui a permis de mettre un mot sur ses maux : l’éco-anxiété.
L’éco-anxiété, le mal du siècle ?
Colère, culpabilité, solitude, perte de sens, le panel d’émotions liées à cette angoisse écologique est varié. Et même parfois cyclique. « C’est une forme d’anxiété anticipatoire par rapport au désordre à venir », résume Alice Desbiolles, autrice d’Éco-anxiété : Vivre sereinement dans un monde abîmé. Pour l’heure, il n’existe pas d’étude sur l’ampleur du phénomène, mais la médecin en santé environnementale prévient : « On a tous le potentiel de devenir éco-anxieux car c’est une posture rationnelle face à l’état du monde ».
La psychopraticienne Charline Schmerber a fait de l’éco-anxiété sa spécialité. Tout est parti de son expérience personnelle. En 2018, elle hésite à tout plaquer pour se consacrer pleinement à la protection de la nature, mais se ravise : « J’ai réalisé qu’avec mon métier je pouvais aider les personnes qui passent par les même phases à se recentrer dans le temps présent, plutôt que de vivre dans un futur anxiogène ». Dans la foulée, elle crée donc un site internet dédié et entame des thérapies individuelles et collectives.
Pour la Montpelliéraine, « l’éco-anxiété n’est pas une maladie, mais une nouvelle forme d’émotions liée à l’état du monde » qui touche « aussi bien les hommes que les femmes ». Parmi ses patients – aux trois quarts angoissé·es par l’avenir climatique – Charline Schmerber note ainsi qu’il s’agit « souvent de personnes hypersensibles » éprises d’une « frénésie de l’information ». « Beaucoup de patients redoutent un effondrement très brutal car ils vivent dans un grand sentiment d’urgence, au point de perdre de vue ce qui est resté stable dans leur vie », précise-t-elle.
La « douloureuse » question des enfants
Plutôt « de nature stressée », Maud Rebibou consulte un psychologue depuis six ans, mais n’a jamais osé évoquer ses craintes liées au dérèglement climatique de peur de ne pas « être comprise ». Intérieurement, elle fait pourtant face à des angoisses récurrentes : « J’ai très peur que le monde finisse en guerre nucléaire », confie-t-elle. Par conscience écologique, et pour ne pas donner la vie dans un monde qui « risque de devenir invivable », Maud Rebibou a renoncé à avoir des enfants.
Un sujet récurrent dans le cabinet de Charline Schmerber. « Beaucoup de mes patients désirent vraiment fonder une famille, mais se l’interdisent », jusqu’à opter pour une méthode radicale, explique-t-elle. Mais la Montpelliéraine rappelle également que tous ls cas sont uniques. A 21 ans, Camille Bouko-Lévy est arrivée à la conclusion qu’elle ne voulait pas procréer, et « encore moins dans la configuration écologique à venir ». Après quatre ans de réflexion, elle vient de se faire ligaturer les trompes de Fallope. Pour l’étudiante toulousaine, la stérilisation contraceptive a été une « vraie libération ».
Camille Bouko-Lévy ne compte cependant pas renoncer à « transmettre son militantisme ». Et pourquoi pas sur Instagram où ses recettes de cuisine, lectures et réflexions sont suivies par plus de 2 000 personnes. Depuis janvier dernier, elle y poste également les victuailles qu’elle glane avec des ami·es à la fin des marchés ou dans les poubelles de la grande distribution.
« C’est gratifiant parce que ça a un impact sur moi et sur les autres », se félicite-t-elle. Renouer avec l’action est justement une piste pour « aller mieux », abonde la psychopraticienne Charline Schmerber.
Quant à Clémence, la jeune femme au colibri, c’est le stage de reconnexion à la nature proposé par la conférencière Hélène De Vestele qui lui a permis « d’aller de l’avant ». « Tout l’enjeu de ce travail est de se dire qu’on est légitime à ressentir de la peur et de la colère, des sentiments qui sont connotés négativement dans notre société », détaille l’autrice du manifeste L’urgence de la cohérence. Depuis cette expérience, Clémence a lâché prise avec l’actualité et entamé une reconversion. A la rentrée, elle ouvrira un café végan à Toulouse. « C’est très important pour moi de faire un métier utile pour la société et de promouvoir un mode de vie durable, moins polluant ou plus respectueux des autres », conclut-elle, dans un sourire. Symbole de cette nouvelle philosophie pollinisatrice : sur son bras, une abeille cohabite désormais avec son colibri.