Quand le cheval se fait thérapeute
S’ouvrir au monde grâce au contact avec les équidés. Les chevaux peuvent aider les personnes souffrant de troubles sensoriels, autistiques ou intellectuels à se sentier mieux.
« On tourne à gauche dans 3, 2, 1… ». L’attelage lancé au trot négocie parfaitement un virage serré sur la route de Vieux-Berquin, dans le Nord. Malgré la vitesse, Jérémy, le meneur, garde un calme et une concentration à toute épreuve. Il doit prêter l’oreille au bruit des voitures qui s’approchent, aux réactions de ses chevaux, mais surtout aux indications de Lisa, sa coéquipière, qui lui prête ses yeux sur le parcours. Jérémy, 18 ans, est aveugle de naissance. Diriger les deux juments de trait de l’attelage est pour lui un vrai défi : « C’est dur, car on doit être attentif à tout en même temps. Il faut vraiment se concentrer pour faire le tri dans les bruits et se contrôler pour ne pas faire de mouvements brusques avec les rênes ».
L’exercice aide le jeune homme de 18 ans à améliorer sa posture, ses repères dans l’espace et surtout sa confiance en lui. « Au début, je pensais que c’était impossible, mais au fil des entraînements, je me suis rendu compte que j’en étais capable et j’en suis fier », confie Jérémy. Lui qui appréhendait tout imprévu s’aventure aujourd’hui pour la première fois sur un itinéraire inconnu. L’objectif : participer à la route du Poisson, une course de relais entre Boulogne-sur-Mer dans le Pas-de-Calais et Paris. Sa principale motivation : « Le contact avec les chevaux ». Clé de la réussite de l’attelage, la relation avec l’équidé peut aussi devenir une véritable thérapie pour les personnes handicapées.
« Jérémy n’a pas supporté le cursus scolaire traditionnel et a pris du retard. Mener un attelage lui fait gagner en responsabilité et en autonomie dans ses déplacements. L’intérêt est qu’il se rende compte de ses possibilités d’action, de relation, en dépit de ses problèmes visuels », explique Catherine Bayard, son éducatrice. Il fait partie des trois jeunes de l’institut médico-éducatif (IME) de « La pépinière », à Loos, dans le Nord, qui accueille des jeunes déficients visuels polyhandicapés, à participer au stage d’attelage du Vieux-Berquin.
Romain et Valentin, eux, font office de palefreniers : ils brossent, attellent et nourrissent les chevaux. Au-delà du défi technique que représente pour eux la préparation de la course, l’enjeu est surtout éducatif. « On espère que ce stage va leur ouvrir la voie vers plus d’autonomie dans la gestion du quotidien : apprendre à s’occuper du cheval peut inciter à prendre soin de soi. Tout comme mener à terme une chronologie d’actions pour harnacher les chevaux est un acquis transférable dans leur vie future », explique Catherine Bayard.
Avant le départ de l’attelage sur le parcours, Valentin, 20 ans, s’active. Tartine, le cheval de trait qu’il est chargé d’équiper, résiste quand il tente de lui passer le mors. Mais le jeune homme n’abandonne pas. « Son capital confiance a été multiplié par deux ou trois. Au début, il avait peur d’entrer dans le box », se souvient Jean-Marc, l’instructeur. Une fois les harnais posés, les sangles attachées et les rênes reliées, Valentin lui saute dans les bras : « J’ai réussi, je me suis débrouillé tout seul ». Le jeune homme confie que mener un projet à bien est pour lui un vrai défi et qu’il a tendance à se disperser. « Je suis une boule de nerf qui explose au bout d’un moment, mais être au contact du cheval m’apaise et m’aide à canaliser mes émotions », souffle-t-il. « Les jeunes réajustent leur positionnement face à l’équidé, explique Catherine Apura, la psychologue de l’IME. Avec les chevaux, pas de faux-semblants : si l’attitude du jeune est trop agitée, ils réagissent aussitôt et lui perçoit directement la conséquence de ses actes ».
En s’occupant des chevaux, les apprentis palefreniers se détachent petit à petit des adultes. Romain prend très à cœur la responsabilité qui lui a été confiée de s’occuper de Topaze, sautant même son propre repas pour orienter l’animal vers les meilleurs carrés d’herbe lors de la pause. « Il traverse une période où tout l’angoisse et lui fait peur, explique Catherine Apura. Il cherche à maîtriser son environnement et avec l’animal, il peut être directif, prendre le contrôle. Maîtriser un cheval de cette taille offre une gratification immédiate, la relation avec l’animal devient valorisante. Dans les moments où il perd ses moyens, le jeune pourra se rappeler qu’il a su gérer un cheval de 900 kilos ».
Pour cette raison, la thérapie avec le cheval est très utilisée pour aider les adolescent·es souffrant de troubles de la relation, notamment l’autisme, à s’ouvrir au monde. Les séances, individuelles ou en groupe, commencent à être remboursées par certaines mutuelles et leurs effets thérapeutiques sont reconnus par le monde médical. « Ces enfants, souvent replié·es sur eux/elles-mêmes, ont du mal à communiquer avec l’extérieur. Ils et elles sont dans une approche craintive de l’autre. Le langage totalement différent et non-verbal du cheval les incite à entrer en relation par le corps, par les sens et le placement dans l’espace », explique Brigitte Martin, psychothérapeute, enseignante à l’Institut de Formation en Psychomotricité (IFP) et présidente de la Fédération Nationale des Thérapies avec le Cheval (Fentac). « L’objectif des séances est de laisser la relation entre l’animal et l’enfant se mettre en place à son rythme », ajoute Florence Bréhelin, 42 ans, médiatrice équine depuis dix ans. Elle exerce depuis trois ans dans un manège au sein de l’IME, spécialement aménagé pour les séances de thérapie avec les jeunes handicapés.
Ce jour-là, à l’intérieur du manège, Sarah, une adolescente de 12 ans souffrant de troubles autistiques, est assise face à Tequila. Doucement, la jument s’approche. Elle s’arrête à un mètre, comprenant l’appréhension de la jeune fille, puis vient finalement la flairer du bout du museau. « Le cheval est un animal curieux, qui cherche la compagnie humaine et à entrer en contact avec le patient, mais pas de la même manière qu’un chien, qui saute, jappe, aboie jusqu’à ce que l’attention se focalise sur lui. Au contraire, le cheval n’est pas intrusif : il signale sa présence mais ne s’impatiente pas, et attend que l’on vienne vers lui à son tour. Cette force calme, silencieuse, est rassurante pour une personne handicapée », observe Brigitte Martin.
Equipée d’une brosse au long manche bricolé pour que l’enfant n’ait pas à trop s’approcher du cheval, Sarah accepte de commencer le pansage. Elle insiste particulièrement sur le museau de l’animal qui s’agite. « Elle teste des mouvements pour voir la réaction de Tequila. Elle est en train d’apprendre comment communiquer avec le cheval », explique Florence, la médiatrice. La nécessité d’interagir avec l’animal augmente quand Sarah monte sur la jument sans selle. Contrairement à l’équitation classique, pas question ici de donner les clés pour changer d’allure : Florence la laisse trouver une solution pour le demander au cheval.
Petit à petit, la jeune fille comprend que lorsqu’elle bascule son bassin vers l’arrière, le cheval passe au pas. Quand elle penche son corps vers l’avant, il s’arrête. « Tu es en train d’apprendre à lui passer des messages, il faut qu’elle les reçoive et les exécute”, lui décrit Florence. « Sarah interagit de mieux en mieux avec le cheval : tirer sur une rêne pour lui indiquer de tourner peut nous paraître simple mais ce n’est pas évident pour un enfant handicapé, souligne Henia, la mère de Sarah. L’autisme est un problème de communication, ce sont des personnes qui n’ont pas de codes pour interagir socialement. Travailler sur la communication non-verbale avec l’animal l’aide beaucoup : son rapport aux autres s’est amélioré ».
Sans selle, le contact direct entre le corps du cheval et de l’enfant permet de travailler l’équilibre et la psychomotricité pour réussir à se stabiliser. « Etre allongé en avant ou en arrière sur l’équidé procure des sensations réconfortantes qui s’apparentent à celles du portage par la mère dans les premiers mois, ajoute Brigitte Martin. Cela peut même leur permettre de revisiter ces moments de jeunesse qui ont dans certains cas été traumatisants ».
« La thérapie avec le cheval peut servir du tout jeune enfant aux personnes plus âgées, qui peuvent toujours travailler au sol avec eux », continue-t-elle. Dans le cas de ces dernières, la perspective est différente. « On travaille sur le maintien de certains acquis et on tente de redonner confiance en leur autonomie aux patient·es », explique Florence. A peine arrivée dans le manège de l’IME, lors d’une séance d’un groupe venant d’un foyer d’accueil médicalisé alentour, Giovanina fonce sur Nours, un shetland noir. « J’en ai les larmes aux yeux », confie la quinquagénaire, atteinte d’un déficit intellectuel. Elle tient à brosser le petit poney toute seule. Puis, lors d’un exercice collectif consistant à diriger le cheval en liberté dans le manège, c’est elle qui est chargée de se positionner devant le cheval en lui parlant pour qu’il la suive. « Giovanina recherche le contact et a besoin d’être valorisée, sécurisée. Le cheval lui apporte cette stabilité dans la relation et elle retrouve confiance en elle en voyant qu’elle peut le guider ».
Jusqu’à présent, Giovanina a toujours choisi un poney shetland, plus rassurée par sa petite taille. Peut-être choisira-t-elle au fil des séances un cheval, signe de sa prise d’assurance au travers de cette thérapie. « Cela peut même être une solution alternative à des médicaments dans certains cas », affirme Brigitte Martin. A l’IME de Loos, en tout cas, la méthode a fait ses preuves, à tel point que l’équipe se renforce : une pédopsychiatre spécialisée dans la médiation avec le cheval s’y installera le mois prochain et avec elle, deux nouveaux partenaires équins.