Dans le bidonville de Rosny-sous-Bois, les enfants roms rêvent d’école
Difficile d’être scolarisé lorsque l’on habite illégalement un terrain, entre quelques tôles de récupération. Pourtant, la cinquantaine d’enfants roms du bidonville de Rosny-sous-Bois, leurs parents et plusieurs associations ne baissent pas les bras. Aller à l’école, parler français, une étape indispensable à toute intégration.
Elles ne sont pas immédiatement perceptibles. Cachées derrière des rangées d’arbres feuillus, des bâches couleur azur indiquent la présence de vies recluses, à deux pas de l’autoroute A86. Des femmes, des hommes, mais aussi des enfants. Sur le chemin limoneux qui mène au campement, deux silhouettes filiformes apparaissent au loin. Affublé de chaussons trop grands, Irwin*, 6 ans, tente désespérément d’attraper son frère Armani*, 7 ans, sous le regard amusé de leur mère, occupée à nettoyer des ustensiles de cuisine. « Ces deux-là ne vont pas à l’école car ils viennent d’arriver », explique d’un français hésitant Riky*, 13 ans. Scolarisé depuis 2 mois au collège, le garçon aux pommettes prononcées fait office de traducteur pour les adultes du bidonville où il vit, majoritairement roumanophones. « Ma mère aimerait que je sois avocat, mais je ne sais pas ce que c’est », raconte-t-il hilare. La traduction faite, l’intéressée sourit. « Au moins avec ce métier, tu pourras tous nous défendre ! ».
Depuis juin 2020, 120 personnes roms, dont 55 enfants âgés de 3 à 17 ans, ont trouvé refuge dans un bosquet à l’ouest de Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Certaines arrivent d’Espagne, d’autres vivent en France depuis des années, mais toutes ne restent jamais longtemps au même endroit. Sur le terrain appartenant au gestionnaire autoroutier, des cabanes exiguës ont tour à tour émergé, faites de bois, planches, ou autres matériaux de récupération. A l’intérieur, les familles vivent dans des conditions rudimentaires. « Elles n’ont pas eu d’eau pendant 6 mois, et l’électricité est limitée », détaille Nicolas Clément, membre du Secours catholique.
Dans les bidonvilles, pas possible non plus d’avoir une adresse, puisque le campement est illégal. Et sans domiciliation, l’accès à l’école des enfants est plus compliqué. « Certaines municipalités demandent une attestation de domicile pour les scolariser, car elles savent que les parents n’en ont pas. Les associations attaquent ces décisions qui sont illégales, mais cela prend du temps », confie Corinne Espagno, membre du collectif d’habitant.e.s « Stop Expulsion Rosny », qui défend leurs droits. Une circulaire du ministère de l’Education nationale du 2 octobre 2012 rappelle en effet que « la scolarisation des élèves allophones (dont la langue maternelle est une langue étrangère, ndlr) relève du droit commun et de l’obligation scolaire ». Parler français serait un premier pas, indispensable, pour les enfants de ces bidonvilles. « C’est cela le plus frustrant : non seulement on ne les aide pas, mais en plus on les empêche de sortir de cette situation ! », continue la militante, qui tourne depuis quelques semaines un documentaire sur les résident.e.s du campement.
Mais une fois scolarisés, des enfants du bidonville manquent parfois à l’appel : « Comme ils vivent dehors toute la journée, le temps qu’il fait a de réelles conséquences. Quand il pleut par exemple, ils sont trempés et plein de terre. Certains ne se rendent alors pas à l’école, car les parents ont peur qu’ils paraissent sales aux yeux des autres élèves », ajoute Corinne Espagno, la mine assombrie.
De la nature subie à la nature choisie
Cette peine teintée de colère, Aude Jolivel la connaît bien. Ancienne enseignante dans une antenne scolaire mobile, la trentenaire a fondé l’association l’école enchantiée en 2018, afin de « défendre celles et ceux qui vivent en marge de la société ». L’objectif ? Rapprocher les enfants de 8 bidonvilles, dont celui de Rosny-sous-Bois, d’une scolarité classique, à travers des ateliers d’arts plastiques et de français. « Une fois par semaine, on assure aussi des permanences dans les établissements scolaires, pour vérifier avec les professeurs l’assiduité et les résultats des élèves », complète Nicolas, l’un des salariés.
Ce mardi, trois enfants sont présents dans les locaux de l’association à Montreuil, impatients de peindre le papillon de papier situé sur la table. La musique de jazz enclenchée – St. Louis Blues de Billie Holiday –, Mikaël*, 8 ans, répète concentré le nom des outils qui défilent devant lui, destinés à réaliser son futur chef-d’œuvre. « Pinceau », « colle », « ciseaux ». A ses côtés, Lisa*, sa sœur de 3 ans, rencontre plus de difficultés. « Je ne comprends pas », susurre-t-elle d’un accent prononcé, avant de demander à son frère de lui expliquer. Luana*, elle, tape violemment sur la table – 1 fois, 6 fois, 12 fois –, incapable de contrôler son excitation. La fillette de 3 ans aux cheveux décoiffés finira par somnoler une heure et demie plus tard à la fin de l’activité, exténuée par l’énergie déployée.
« Ce sont des enfants qui ne sont pas scolarisés. Ils ne maîtrisent donc pas le français », raconte Camille Jolivel, bénévole en charge de cet atelier. « Au début, les activités duraient une dizaine de minutes, parce qu’ils n’arrivaient pas à se concentrer. Mais au fil du temps, on a augmenté la durée, parce qu’ils parvenaient à se canaliser ». Sur les 110 enfants dont s’occupe l’association, Aude Jolivel l’assure : aucun suivi n’a jamais été interrompu pour des raisons de comportement. « Les seuls arrêts qu’on a connus, c’est lorsqu’il y avait des expulsions de bidonville. Ça, c’est notre hantise, parce que ça détruit tout le travail réalisé ».
Une scolarité hachée
A peine rentrée de l’école municipale, Yara* s’empresse de rejoindre les autres enfants du bidonville. L’élève de CE1 à la robe écarlate relate enthousiaste ses journées, avant de s’improviser professeur : « Ça, en français, c’est du bleu. Et ça, c’est du jaune ». Scolarisée depuis quelques mois, la fillette de 8 ans se souvient encore de sa première rencontre avec Aude Jolivel, « son amie » : « C’est grâce à elle que je vais à l’école. Je l’ai trouvée tout de suite très gentille ». Luciana*, la mère, n’a pas non plus hésité lorsque l’école enchantiée l’a approchée. « Je voulais que ma fille réussisse mieux que moi. Les études, c’est l’espoir ».
« En règle générale, les parents sont très demandeurs », confirme Aude Jolivel. Le peu de refus qu’elle reçoit, la fondatrice les explique par « des problèmes de santé » ou « des difficultés pour se nourrir », qui relèguent l’école au second plan. Rosa* fait partie de ces histoires compliquées. Après avoir passé 12 ans en Espagne, la quadragénaire est arrivée dans le bidonville de Rosny-sous-Bois il y a quelques mois, déterminée à scolariser ses 6 enfants. Mais si certains sont parvenus à suivre des cours, grâce à l’association, leur scolarité a rapidement été hachée. « Rosa m’a appelée une fois pour me dire qu’elle avait embarqué avec elle les deux petits pour récupérer les encombrants, leur principale source de revenus. Toute la famille est mobilisée pour la survie, et les enfants n’ont pas toujours le temps d’aller à l’école », regrette Corinne Espagno.
Autre problème : le manque de dispositifs d’accompagnement pour les enfants roms dans la commune. « Il existe des systèmes dans des écoles, les UPE2A (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants, ndlr), où ils sont séparés des autres élèves pour les cours de français, afin de bénéficier d’un enseignement progressif. Mais ils ne le font pas à Rosny, et l’un des gamins du bidonville se tape une heure le matin et une heure le soir pour aller à Bobigny. Ça ne les aide pas à s’intégrer ! », ajoute-t-elle.
Un constat partagé par Grégoire Cousin, auteur d’une thèse sur la gestion des migrations roms. « On ne fait pas une politique d’insertion basée sur le rejet. Il faut que l’institution soit pro-active. » En juin 2015, 1800 enfants allophones ayant passé un test pour évaluer leur niveau de langue étaient en attente d’une prise en charge dans un dispositif spécifique, selon un avis de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le budget. Des statistiques anciennes, qui traduisent « un manque de considération » selon Aude Jolivel. « Il faudrait augmenter les places en UPE2A ! », conclut l’ancienne enseignante. En attendant que les choses s’améliorent peut-être, Yara fait tournoyer dans les airs un morceau de bois. « Ici, dans le bidonville, je m’ennuie un peu. C’est pour ça que j’aime être à l’école : là-bas, j’ai beaucoup de copines ».
*Le prénom a été changé.
Alexis DA SILVA.