La Bigotière : une vie en communauté et proche de la terre
Tout quitter pour se rapprocher de la nature, le rêve peut devenir réalité. Au-delà des envies de grand air, les habitant·es de La Bigotière partagent une véritable conviction : être au plus proche de la terre et limiter leur impact sur l’environnement.
Au bout d’un chemin de terre, la vieille ferme de La Bigotière se dévoile au milieu des champs. Après quatre années de chantier participatif, le lieu situé à Epiniac (Ille-et-Vilaine) accueille aujourd’hui vingt-et-un·e habitant·es… et de nombreux oiseaux. « Neuf espèces nichent dans les trous des bâtiments ! Des rougequeues noirs, des étourneaux sansonnets, des troglodytes mignons… », explique Jean-Luc Toullec, pointant du doigt les façades de pierre. Écologue de formation, cet homme aux cheveux blancs, qui lui donnent des airs de grand sage, a quitté son poste d’enseignant et de coordinateur dans l’enseignement agricole pour vivre à La Bigotière. Jean-Luc fait partie des six couples de quinquagénaires qui ont vendu leurs maisons pour habiter ensemble et rénover la ferme d’Epiniac, en 2016.
Des enfants devenu·es adultes, une envie de renouer avec la nature… Voilà ce qui a poussé ces Breton·nes à acheter le site de La Bigotière, un terrain de plus de quatre hectares, pour créer un habitat partagé, un « éco-hameau » où le mode de vie est collégial et respectueux de la nature. « Un mini village avec des valeurs écolo », résume Jean-Luc, en dégustant une tranche tout juste sortie du fournil – car La Bigotière fabrique son propre pain.
La boulangerie est installée dans les anciennes soues à cochons de la ferme. Gilbert Leduc, dit « Gigi », a changé de profession, à 56 ans, pour se mettre à fabriquer du pain au levain, après avoir acheté un four et une table à pétrin. Lassé de son poste de responsable de l’équipement auprès du conseil départemental, il a décidé en 2016 de passer un CAP boulangerie. Avec son franc-parler et ses lunettes bleues, il est une des figures emblématiques du lieu. Jean-Luc et Gigi sont amis depuis plus de vingt ans. Le duo est à l’origine de l’idée de rénover un bien à la campagne, pour y vivre collectivement.
Jean-Luc, lui, est le « monsieur nature » des lieux. Il aime accompagner les curieux·ses lors de balades où il fait découvrir les plantes et la faune. Un plaisir pour Dorian Marie, qui s’est installé dans le hameau en 2019 avec sa compagne Eva, et est responsable du développement des activités. L’ancien citadin a pris goût à la cohabitation avec les animaux : « Ça en devient même une sorte de chasse au Pokémon ! On s’amuse à faire des comptages, on est pas mal d’habitants à se prendre au jeu. »
Pour la rénovation des bâtiments, Jean-Luc et ses ami·es se sont accordé·es pour n’utiliser que des produits locaux ou naturels, comme des enduits de terre et du chanvre. Le hasard fait parfois bien les choses. Quelques semaines auparavant, un chêne, frappé par la foudre, s’est effondré sur leur terrain. Le naturaliste et son ami Gilbert rêvent maintenant d’en faire « un beau plan de travail dans la cuisine de la salle commune. »
Gilbert, lui, n’a pas la main verte, même s’il est venu à La Bigotière pour « vivre grâce à l’agriculture biologique, sans pesticide, autour de valeurs communes ». Il compte sur les habitant·es « jardiniers dans l’âme » comme Jean-Luc pour s’occuper de la terre. Ici, aucune envie d’être autosuffisant en légumes ou en énergie. « On ne veut pas se déconnecter du territoire, ni écologiquement, ni humainement », précise Jean-Luc. Pour les habitant·es de La Bigotière, il est essentiel de travailler et de se fournir chez les artisan·es locaux.
Pendant le premier confinement, Jean-Luc a eu envie de renforcer les liens avec les entreprises du voisinage, alors il a fondé l’association Le Ruisseau, avec Dorian et Nathalie Uguen, une amie des habitant·es. Jean-Luc a pris le poste de coordinateur général de l’association. Les cultivateur·rices, éleveur·ses et maraîcher·es des alentours reçoivent les commandes sur Internet et les apportent au hameau pour qu’elles soient récupérées par les consommateurs du territoire. C’est l’opportunité de dynamiser l’activité économique locale, de tisser du lien social, tout en réduisant l’impact écologique collectif. Les producteurs sont ravis : ils gagnent en popularité et vendent leurs produits en dehors des marchés locaux, comme celui de Dol de Bretagne, à une dizaine de kilomètres, tous les samedis.
La distribution se déroule le vendredi. Arrivent alors à La Bigotière, légumes, viandes, produits laitiers… En fin de journée, les producteurs·trices sont remplacés par les client·es qui viennent chercher leurs paniers, donnant naissance à une grande place de marché en pleine nature.
En France, plus de 1 100 lieux collectifs et écologiques, comme la ferme d’Epiniac, sont répertoriés sur la carte de la coopérative Oasis, qui accompagne depuis 2015 près de 300 d’entre eux. Gabrielle Paoli, la directrice adjointe de la coopérative, explique qu’il existe cinq fondamentaux pour pouvoir devenir « une Oasis », dont le plus important : « La souveraineté alimentaire et l’agroécologie. L’idée, c’est que les collectifs doivent produire une partie de ce qu’ils consomment, de façon respectueuse de la nature. » Ce n’est pas le cas à La Bigotière, où l’on produit seulement du pain. Officiellement, a ferme n’a pas le statut d’« Oasis », mais comme elle répond à de nombreux critères, elle est recensée sur la carte de la coopérative.
Selon Gabrielle Paoli, « même si nous n’avons pas de chiffres, plusieurs indicateurs montrent un regain d’intérêt pour les lieux de vie écologiques depuis le début de la crise sanitaire ». Les formations proposées par la coopérative accueillent d’habitude une centaine de personnes chaque mois. Depuis l’arrivée du covid-19, c’est dix fois plus.
Malgré tout, ces lieux de vie en communauté ne sont pas des temples zen. Les conflits entre habitant·es sont fréquents, que ce soit sur la direction à donner ou la répartition de l’argent. Et La Bigotière n’est pas épargnée. Un des six couples fondateurs a quitté l’aventure en cours de route. « Ils ne voyaient pas les choses de la même manière que nous, ils préféraient investir dans l’aménagement des logements alors qu’on voulait développer les activités en lien avec la nature », confie Jean-Luc, peiné. La vie en collectivité ne séduit pas tout le monde. Nathalie Uguen, pourtant salariée à temps plein de l’association Le Ruisseau, ne souhaite pas rejoindre les habitant·es de La Bigotière. « C’est un cercle d’ami·es à la base, et même si je m’y suis intégrée, j’ai besoin de retourner chez moi et d’avoir mon petit lieu bien à moi », explique-t-elle, avant de revenir sur le chemin de terre pour une petite soirée « tartines ». Un moment de convivialité autour des toasts grillés de Gigi.