Toujours plus de piqué·es d’abeilles : le business florissant de l’apiculture
Les abeilles sont à la mode. Particulier·ères et entreprises sont de plus en plus nombreux·ses à vouloir accueillir ces insectes, symboles de la préservation de la biodiversité. Pour le plus grand bonheur des vendeur·ses de matériel apicole et des sociétés spécialisées dans l’installation de ruches.
« Je voulais surtout me rapprocher de la nature. » Accroupi dans l’herbe à côté d’une ruche vide, Alex Ye gratte des restes de cire et de miel à l’aide d’un outil en métal. Pour ce Parisien de 32 ans, l’apiculture est un moyen d’oublier qu’il habite en ville. Depuis quatre mois, il suit des cours théoriques en visioconférence le samedi. Ce jour-là, il participe à sa première séance pratique au camping de Paris, près du bois de Boulogne, avec une vingtaine d’autres élèves.
Comme Alex Ye, plusieurs milliers de personnes se mettent à l’apiculture chaque année. Six mille ont acquis une ou plusieurs ruches en 2019 en France. C’est deux fois plus que les années précédentes, selon la Fédération nationale d’apiculture. Depuis que les abeilles incarnent la protection de la biodiversité, les ruches tentent de plus en plus d’amateur·rices et d’entreprises. Cette clientèle arrive en masse sur le marché du matériel apicole.
« Cet intérêt est récent, il date d’il y a cinq ou six ans, affirme Léa Genies, responsable de l’association HappyCulteur. Et il est encore plus fort depuis le Covid. De plus en plus de personnes ont envie de se tourner vers la nature. » Depuis leur création il y a quatre ans, les formations organisées par son association affichent complet. Cent cinquante personnes se sont déjà pré-inscrites pour rejoindre la promotion 2022, pour seulement vingt places.
Alex Ye a réussi à rejoindre le groupe de cette année. Dès le début du cours, lui et ses camarades de promo enfilent leurs combinaisons de protection flambant neuves. Le rucher bourdonne alors de questions. « Tu l’as achetée où la tienne ? » « Elle se ferme comment au niveau du cou celle-là ? » Impossible de démarrer en apiculture sans un minimum de matériel. À la fois pour se protéger mais aussi pour manipuler les ruches sans risquer de blesser les abeilles qui s’y trouvent. Pour démarrer, avec les outils, une ruche et un essaim, il faut débourser autour de 1000 euros.
Pour l’entreprise leader européenne du matériel apicole, Icko, ces néophytes à équiper sont une aubaine. « Le nombre de combinaisons vendues est en augmentation permanente », note le directeur marketing de l’enseigne. Ces cinq dernières années, son chiffre d’affaires est passé de 20 à 30 millions d’euros.
Un intérêt tel que le géant du jardinage, Truffaut, consacre 5 pages entières au matériel apicole dans son catalogue été 2021 et crée des rayons dédiés dans ses magasins. Posté aux portes de Paris, celui d’Ivry-sur-Seine vise une clientèle urbaine. Ici, le rayon apiculture a fait son arrivée le mois dernier. Et impossible de le rater : dès l’entrée, une mise en scène couleur jaune et bois avec ruches, combinaisons et produits à base de miel attire l’attention. Un panneau noir écrit à la craie indique « au 3ème étage, ruches et rayon apiculture ». Monsieur ruches, chez Truffaut, c’est Jean-Pierre Dousset, directeur adjoint du magasin d’Ivry. Il se réjouit de l’arrivée de ce nouveau rayon. « Il y a un petit marché qui se développe, soutient-t-il. Et il faut montrer qu’on est précurseurs. » Sur les 5000 m² que compte le magasin, seuls 3 mètres sont consacrés à l’apiculture. Pour le directeur, le but n’est pas de faire exploser les revenus de son enseigne, mais c’est un plus. En 2020, les ventes de matériel apicole représentaient moins de 0,1% du chiffre d’affaires de Truffaut.
Avant de sortir sur la terrasse au 3ème étage du magasin, Jean-Pierre Dousset referme sa doudoune sans manches grise et verte. Il a fait appel à une entreprise pour installer et entretenir les ruches posées sur le toit. Celles de Volkan Tanaci, venu s’en occuper ce jour-là.
« Tout le monde ne peut pas s’occuper d’abeilles, clame-t-il, il faut avoir un minimum de connaissances. » Ce professionnel compte une cinquantaine de ruches à son « cheptel ». Cela fait 4 ans qu’il en installe en entreprise et qu’il travaille davantage sur des toits d’immeubles que dans des parcs. « C’est un bon modèle économique, souffle-t-il en haussant les épaules. En ville, c’est impossible de produire assez de miel pour en vivre ». A Paris, avec l’intérêt grandissant pour l’apiculture, il y trop de ruches et trop peu de plantes à butiner. Résultat : les abeilles parisiennes ne trouvent pas assez de nourriture pour produire du miel. Volkan a donc dû repenser son modèle économique. Au lieu de vendre du miel, il vend des services autour des ruches. Soit des ateliers auprès de la clientèle comme chez Truffaut, soit simplement l’entretien des ruches. Aux entreprises où il laisse des abeilles, CityBzz, la société de Volkan Tanaci, facture entre 1500 et 2500 euros par ruche et par an. Face à la demande importante de ce type de services, les entreprises comme CityBzz sont de plus en plus nombreuses.
Les prestataires de ruches ne sont pas les seuls à s’être trouvés une clientèle. De plus en plus de start-up vendent des ruches connectées. Plus d’une dizaine essaiment sur ce nouveau marché depuis 2013. La moitié ont été créées il y a moins de trois ans. Si en pensant « ruches connectées » vous imaginez des câbles se faufilant sous une ruche avec une petite antenne plantée sur le côté pour la liaison, vous n’êtes franchement pas loin de la réalité. Mais ce terme peut désigner plusieurs types de technologies, et autant de formes différentes. Capteurs de pesée, thermomètre, parfois même antivol et GPS. Toutes envoient les données d’une ruche à une application ou un site web d’où l’apiculteur·rice peut les consulter.
C’est ce que propose Bee2Beep. Fondée en 2019, l’entreprise de Jérôme Clerjeau, 27 ans, a commencé à vendre ses produits en 2020. « Les ruches connectées c’était mon projet de fin d’études d’ingénieur, raconte-t-il. J’ai voulu continuer car j’ai vu qu’il y avait un marché. » Une activité dont il vit. Vendu 175 euros, son produit phare est une balance qui se place sous la ruche et envoie les données à une application. Il suffit de se connecter pour retrouver tous les graphiques et les informations en direct. L’évolution du poids de la ruche permet de savoir si la quantité de miel augmente ou si les abeilles quittent la ruche car elles y sont trop nombreuses.
Apicultrice, Catherine Triboulet est sceptique. « Les ruches connectées ça peut être bien pour des gens qui ont des ruches loin de chez eux, lâche-t-elle. Mais moi je préfère aller voir dedans ce qu’il s’y passe ». Elle et son mari Christophe s’occupent de plus de quarante ruches en Île-de-France. Même s’il a peur « d’une part d’effet gadget », cet apiculteur travaillant depuis 35 ans auprès des abeilles reste partagé. Pour lui, ces informations peuvent compléter ce qu’on observe sur le terrain et permettre de mieux prendre soin des ruches. « Il vaut mieux ne pas rendre visite aux abeilles par temps orageux, rappelle-t-il, ça les rend nerveuses. » La ruche connectée peut donner cette information.
Ses mains s’agitent et ses yeux pétillent quand Christophe raconte l’intelligence des abeilles et leur fonctionnement. Il ne cesse d’en parler que pour s’en occuper. La grille de sa tenue de protection devant les yeux, il tire à mains nues un cadre de la ruche et en sort des centaines d’abeilles. Il le tient de longues minutes pour voir comment avance la production de miel.
Les piqué·es d’abeilles, c’est à elles et eux que les nouvelles innovations d’adressent. La dernière à avoir bourgeonné ? Une caméra HD miniature attachée au bout d’un fil. Il suffit de la glisser dans la ruche pour avoir un point de vue que même les apiculteur·rices n’ont jamais : celui d’une abeille. Au bout de son fil, la petite caméra peut se poser au fond de la ruche, et voir les insectes fourmiller d’une alvéole à l’autre. Un marché au potentiel florissant. De quoi doper la créativité des entrepreneur·ses, jamais en panne de nouvelles idées.