Les « Mordus de la truite » cartonnent sur YouTube
Depuis cinq ans, Hugo et Thomas Granjon, deux frères de Haute-Loire, mettent en ligne des vidéos de leurs parties de pêche. Leur chaîne YouTube, « Les mordus de la truite », totalisent des millions de vues.
Hugo Granjon, 22 ans, est à genoux dans l’eau ensoleillée. Ses boucles rousses ondulent sous sa casquette. Après plusieurs heures à fouetter l’air de sa ligne tressée, il appelle son frère Thomas, de deux ans son cadet, en aval de la rivière – une truite sauvage a gobé un hameçon. Fins connaisseurs du coin, la fratrie a déjà fréquenté ces rochers poissonneux, mais avec du matériel audiovisuel sur le dos. En plus de pêcher, les deux frères sont vidéastes, et filment leurs parties de pêche pour leur chaîne YouTube, « Les mordus de la truite ».
Le poisson du jour attend calmement d’être libéré. Les deux pêcheurs prennent quelques secondes pour contempler les points rouges qui parsèment ses flancs brillant. La truite les émerveille encore et encore. Cette fois, ils ne dégainent pas la caméra, ils n’ont pas attrapé assez de poissons aujourd’hui. Les frères finissent par relâcher délicatement la truite groggy, qui louvoie en direction des rochers pour se mettre à l’abri. Une habitude. Les jeunes garçons préfèrent ne pas tuer leurs prises.
La pêche à la mouche est devenu un rituel, chaque week-end. Hugo et Thomas désertent la maison familiale de Saint-Maurice de Lignon, en Haute-Loire. « Les garçons sont proches de la nature », explique leur mère Valérie, chargée de la culture à la mairie de Saint-Etienne. Pour la sortie du jour, Hugo a choisi Dunières, un village tranquille en altitude. Bien loin de son alternance chez Michelin. Encore plus loin de son mémoire sur le retour du disque vinyle. Dunières, parce que c’est là, au bord de la D44, à 30 kilomètres de chez eux, que passe la rivière la plus poissonneuse du département.
Comme d’habitude, ils ont chargé leur 4×4 d’équipements de pêche avant de partir, dont des cannes neuves offertes par leur sponsor Gary Loomis, qui les a repéré sur YouTube, des waders, des salopettes étanches, trouées par les ronces, et des chaussures de rafting qu’Hugo utilise pour remonter les cours d’eau. Une boîte de mouches sèches et une autre de nymphes accompagnent des sandwiches, un saucisson et du fromage frais, coincés dans leur sac à dos. Et, après tout ce barda, un dernier sac, et pas le plus petit, est dédié à YouTube et à leur matériel audiovisuel : un boîtier Panasonic GH5, un drone…
Les deux frères ont appris à pêcher il y a une quinzaine d’années, avec leur père Olivier, directeur commercial. Ils sont tombés amoureux de la pratique et les liens se sont resserrés entre eux, à force de taquiner le gardon en binôme. La fratrie n’oublie jamais de se chambrer. Quand Hugo peine à nouer un hameçon au bout de sa ligne, son frère lui lance : « Ça, c’est pas ton truc ! »
C’est la GoPro reçue à Noël, en 2016, qui finit par les décider à diffuser leurs expéditions dans la nature sur YouTube. « On a commencé comme ça, sans intérêt particulier pour la vidéo », admet Hugo. Fans de Cyril Chauquet et de son émission Mordu de la pêche, diffusée dans douze pays différents dont la France (sur RMC Découverte), les deux autodidactes ont détourné le nom pour baptiser leur chaîne YouTube. Pour faire la même chose à leur échelle.
Aujourd’hui, 150 vidéos, totalisant deux millions de vues, ont été réalisées par les deux « mordus de la truite », qui réglent plus de 18 000 abonné·es. Cette réussite s’explique par l’implication des frangins, des perfectionnistes, qui ne perdent jamais de vue la nécessité de tourner de belles images. Des plans aériens accompagnent leurs prises de vues. Immersion garantie dans la nature sauvage. « On est devenu efficaces », estime modestement Thomas, à qui revient le soin du montage et du contenu photo.
« C’est vraiment intéressant de regarder ce qu’il font », constate Set the hook, un autre YouTubeur-pêcheur qu’ils ont rencontré lors d’un salon à Clermont (Puy-de-Dôme). Il a adoré leur vidéo sur la fabrication d’épuisettes et projette d’en faire une avec eux. « Ils sont inspirants », assure le vidéaste. Des enfants d’une dizaine d’années viennent même leur demander des autographes. « Avec ses cheveux roux, on ne peut pas rater Hugo », raconte leur père, amusé.
Une vidéo par semaine, c’est le rythme qu’ils essaient de tenir. Pas facile. Alors, pendant les vacances, les mordus conjuguent toujours pêche et tourisme avec l’aval de leurs parents, qui financent le périple. Hugo et Thomas soumettent les idées de destinations, désireux de ne pas s’éloigner d’un spot de pêche. L’été dernier, ils sont partis tous les quatre dans les Alpes. L’occasion pour les deux frangins de faire « un truc sérieux » – un long métrage, découpé en plusieurs épisodes. Sur la pêche évidemment.
En Suisse, en Suède ou en Italie, la famille part avec toujours les cannes. Sauf une fois, au Maroc. Mais, à peine arrivés dans le port d’Essaouira, la tentation était trop forte. Hugo et Thomas ont filé acheter un hameçon et une ligne en nylon sur la digue. Ils se sont installés en bout de quai et ont remonté poisson sur poisson, bientôt rejoints par une foule de curieux. « Mais on aime aussi aller à la pêche sans caméra, juste pour nous », souligne Thomas.
En famille, les plaisanteries fusent autour des repas préparés par le papa. On écoute Patti Smith, Aretha Franklin ou Nirvana. Comme la pêche et les vannes, la musique réunit les deux frères. Les vieux vinyles en particulier. « Thomas taxe du fric aux parents pour en acheter. C’est une maladie ! », dénonce Hugo en souriant. Ils adorent écouter de la musique pendant leur road trip, mais, une fois sur les berges, ils coupent le son. « Le bruit des oiseaux, c’est le meilleur son », commente Thomas.
À force de pêcher, la conscience écologique de la fratrie s’est renforcée. Au bord de l’eau, ils ramassent les déchets. Depuis dix ans, Hugo et Thomas sont aussi témoins des rivières qui souffrent, au gré des sécheresses, de la pollution et des crues. « Ce qui se passe sous l’eau, la plupart des gens s’en tartinent. Mais les pêcheurs voient bien si la rivière est en bon état », explique le cadet. Leur chaîne YouTube sert aussi à promouvoir une pêche durable et plus respectueuse. « On essaye d’éduquer la nouvelle génération sans donner des leçons », dit Thomas. Et pourquoi pas susciter des vocations, pour que naissent de nouveaux·elles « mordu·es de la truite ».