« On manque de jeunes bras » : vignerons amateurs cherchent jeunes repreneurs

Ex-premier vignoble du pays, l’Île-de-France regorge de vignes patrimoniales gérées par des communes désireuses de faire perdurer une tradition oubliée. Mais au sein de ces petites associations vieillissantes, le travail dans les vignes séduit peu et transmettre la passion du raisin auprès des plus jeunes n’est pas tâche facile.

Casquette militaire en place et pioche à la main, Michel Mont prend appui sur le tuteur de sa vigne pour se redresser péniblement. De l’herbe pousse autour des pieds, il faut tout retirer à la main et replacer la terre. « Ça fait mal au dos et aux reins, c’est dur, ironise le vieil homme, essoufflé et le dos courbé. Mais on a aucun jeune pour prendre la relève ! » Michel, retraité de 80 ans, est à la tête de l’Association Viticole Chantelouvaise qui se donne corps et âme depuis 2003 pour faire revivre la tradition viticole de la commune. Nichés sur les hauteurs des Yvelines, avec vue imprenable sur Paris et les tours de la Défense, les huit-cent ceps de Chardonnay et Pinot noir de Chanteloup-les-Vignes (78) sont aux mains de quelque quatre-vingt adhérents amateurs passionnés de vin, dont une quinzaine de membres actifs. « Cette année, on a eu quatre nouveaux inscrits, c’est énorme ! estime Michel, conscient que le Covid a créé du temps libre et parfois laissé place à l’ennui. Un couple de trentenaires a même adhéré et semblait prêt à tout pour faire du vin, sauf qu’on les a croisés une fois dans les vignes et après ça, plus rien », soupire-t-il.

Deux rangées derrière, Aït-Ali, 63 ans et lui aussi fatigué par l’entretien des vignes, fait partie des fidèles amateurs qui se déplacent au Clos de Chanteloup au moins trois fois par semaine : « Nous sommes surtout des retraités qui essayons de faire vivre notre histoire communale, c’est important de s’y tenir, sinon elle disparaît. » Mais comme Michel, Aït-Ali reconnaît que la main-d’œuvre manque parfois au sein de ces associations de bénévoles, les parcelles n’ayant aucune vocation économique. Et le savoir-faire se transmet difficilement.

Aït-Ali, membre de l’AVC, travaille dans les vignes du Clos de Chanteloup, perché dans le haut des Yvelines (78) qui donne sur les tours de la Défense à Paris.

Briser le stéréotype du vieux piccolo dans les vignes

Chanteloup fait partie de ces centaines de communes dont le riche terroir produisait des vins franciliens très reconnus et directement servis sur les tables des rois de France jusqu’au XIXe siècle. Plus de 45 000 hectares de pieds de vignes ceinturaient autrefois la capitale avant que maladies, essor du chemin de fer et concurrence des vins du Sud ne fassent disparaître le plus grand vignoble de France au lendemain de la Première Guerre mondiale. 

Mais depuis plusieurs années, la filière lutte pour faire reconnaître cette tradition viticole. Depuis 2016, une loi autorise désormais à planter de nouvelles vignes dans la région. Grande fierté pour les vignerons franciliens : le 19 mai 2021 marque également le premier anniversaire de la publication du cahier des charges de l’Indication Géographique Protégée (IGP) « Île-de-France », qui reconnaît officiellement le savoir-faire et la qualité des vins de la région. C’est en partie grâce à la sauvegarde des petites vignes patrimoniales comme celles de Michel, et dont la survie ne tient qu’au dévouement et à la passion de vignerons bénévoles, que ces avancées ont été permises.

Mais selon Philippe Ollivon, propriétaire de 3500 pieds dans les Yvelines, l’apparition de nouveaux domaines professionnels dans la région ne doit ni décourager les amateurs, ni mener à leur invisibilisation : « Il faut perpétuer la tradition de l’Île-de-France et faire en sorte que tout le monde trouve sa place et cohabite : vignerons amateurs, professionnels, jeunes et vieux », assène-t-il. Sur sa jeune parcelle créée en 2018, aux Côteaux de la Mauldre à Nézel (78), ce vigneron quinquagénaire également employé à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), aime comparer la viticulture à un film : « L’organisation du tournage intéresse moins que la dégustation du produit final dans les salles obscures… » Autrement dit, les caves et le vin dégagent un certain style, le travail de la pioche et de la taille un peu moins. « Le sale boulot de la vinification nécessite de se retrousser les manches… », résume le vigneron.

Des métiers pas assez valorisés

« Le pire, c’est en août quand les grands-parents partent en vacances en famille, raconte Jean-François Kervern, le président de l’Association des Vignerons de Beynes, une dizaine de kilomètres plus au sud du département. Heureusement que les vendanges en septembre attirent les plus jeunes… » Les dizaines de bouteilles empilées dans son chai – une cuvée 2018 de Chardonnay dont le vigneron bénévole est particulièrement fier – ne sont pas commercialisées mais réservées aux évènements de la ville. Quelques mètres plus haut sur la colline, un chalet en bois construit en 2018 fait office de modeste QG aux passionnés. Jean-François caresse son crâne dégarni en jetant un œil à la devanture sur laquelle trône une énorme grappe de raisin assemblée à la main et donnant sur les rangées de bourgeons. « Les jeunes générations voient la nature comme quelque chose de magique et mystérieux, mais la vigne nous fait simplement vivre au rythme des quatre saisons, s’émerveille-t-il. Sans cela, on ne comprend rien au métier et le problème aujourd’hui est qu’ils ne sont plus autant valorisés… »

Jean-François Kervern, président de l’Association des Vignerons de Beynes, dans les Yvelines, devant son chai : « C’est un pur loisir de perpétuer la tradition, les dernières vendanges officielles de Beynes remontent à 1905. »

À part les visites des écoles primaires aux alentours et dont les vignobles amateurs sont coutumiers, il est compliqué de susciter l’envie et les vocations auprès des jeunes. « Plusieurs vignes historiques m’appellent à l’aide car personne ne veut s’en occuper, se désole Jean-Luc Dakowski, vice-président de l’Union Vigneronne, Vals d’Oise et de Seine. La vigne est contraignante et les jeunes préfèrent consacrer leur temps libre autrement. »

« Il faut dépoussiérer le vin »

Faire tomber cette barrière de l’âge et démystifier l’univers de l’œnologie est l’un des objectifs que se donnent les associations de jeunes amateurs dans les écoles. « Il existe beaucoup de vins de qualité entre trois et dix euros, selon Pierre Allain, président de l’AHJAV au Havre, pour qui le vin est souvent considéré comme un alcool cher auprès des étudiants. Alors on organise des visites en caves pour leur apprendre à choisir facilement. »

« C’est de plus en plus compliqué d’attirer les jeunes, on élargit souvent nos activités à la dégustation de bières ou d’associations mets et vins pour leur donner envie », abonde Aymeric Aubreby, président de l’association Kedge à Bordeaux. Au final, il s’agit surtout de « dépoussiérer le vin, parfois assimilé à un alcool vieillot. » Solidaires, attachés aux traditions et pour la plupart autodidactes du vin, ces vignerons amateurs du troisième âge n’ont pourtant rien à voir avec l’image stéréotypée du « vieux piccolo toujours prêt à prendre l’apéro », aime répéter Michel Mont.

Plusieurs associations déplorent ce désintérêt des jeunes pour le vin, souvent au détriment de la bière ou des alcools forts. Selon une étude du Credoc et Vin & Société publiée en décembre 2020, seuls 25 % des 18-24 ans consomment du vin au moins une fois par semaine. Cette part augmente de manière continue avec l’âge pour atteindre plus de 60 % chez les 75 ans et plus. « Le vin s’invite chez les gens avec l’âge et l’expérience », selon Jean-François Kervern, qui lie ce phénomène au temps et à l’argent qu’il faut y consacrer, qu’il s’agisse de déguster le vin ou de le produire dans les vignes. « Planter des vignes est un lourd investissement car les quatre ou cinq premières années ne rapportent rien avant les premières vendanges », rappelle-t-il. D’où une surreprésentation des membres âgés, retraités, au sein des initiatives associatives. Jean-François en est certain, « le vrai amour du vin arrive vers trente ou quarante ans, alors je sais qu’il y aura des jeunes pour prendre la relève ».

À Nézel, Philippe Ollivon, qui attend avec impatience ses premières vendanges pour 2023, partage cet optimisme, surtout en ce qui concerne l’avenir du vin en Île-de-France : « Il ne faut pas oublier que les jeunes sont les premiers à remettre en question leur mode de consommation et à réclamer du vin naturel, biologique, sans sulfites, conçu près de chez eux… note-t-il, précisant qu’il compte de plus en plus d’intéressés entre 25 et 35 ans parmi ses adhérents aux Côteaux de la Mauldre. « Le monde jeune et urbain aime de plus en plus se frotter au rural, veut croire le vigneron. Il est certain que l’on peut construire de nouveaux projets viticoles innovants et écologiques entre les générations. » D’ailleurs, en 2017, ce sont trois jeunes trentenaires qui ont implanté le tout premier vignoble professionnel et biologique en Île-de-France, dans le village de Davron, sur la Plaine de Versailles.

Carte situant les trois vignobles amateurs dans les Yvelines (78) et le Val d’Oise (95) – © Chloé Mathieu
Dans cette région : Paris, Saint-Denis, Nanterre, Ivry-sur-Seine