« On s’est fait berner » : l’agriculture du plateau de Saclay en péril à cause de l’arrivée du métro

Agriculture Saclay

Un ilôt agricole entouré par une future Silicon Valley. Les terres sont protégées par une loi, mais les associations et les agriculteur·rices du plateau de Saclay ne font pas confiance aux pouvoirs publics et craignent que l’urbanisation se poursuive.

C’est un territoire en chantier. À vingt kilomètres au sud de Paris, à cheval entre les départements des Yvelines et de l’Essonne, grues et pelleteuses s’affairent. Le plateau de Saclay deviendra en 2026 l’un des huit pôles d’innovation les plus puissants au monde. Une Silicon Valley à la française, promettent les autorités. Sur place, se trouvent déjà le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Polytechnique et CentraleSupélec. Mais bientôt 85 000 chercheurs, étudiants, salariés et habitants s’y côtoieront tous les jours. Un projet pharaonique, qui sera relié en 2026 à Massy (Essonne) et en 2030 à Versailles (Yvelines) par la ligne 18 du Grand Paris Express.

À côté de ces travaux, douze agriculteur·rices scrutent l’urbanisation, préoccupés et inquiets. « On n’est pas dans la Beauce, on n’est pas dans les grandes plaines du nord, lance Cristiana Modica Vandame en désignant les champs de blé, luzerne et épeautre. C’est une petite réserve indienne. » D’une surface de 26 km2, le territoire agricole du plateau de Saclay compte parmi les plus petits de la métropole, mais aussi parmi les plus fertiles. Ses sols limoneux sont ainsi drainés depuis le XVIIe siècle pour alimenter le Parc du château de Versailles. 

Son d’ambiance : les champs près de la route départementale où passera le métro

Emmitouflée dans une doudoune blanche, l’agricultrice nous conduit aux abords de son champ verdoyant, à quelques mètres de la voie départementale. « À partir d’ici, il y aura du bitume partout », soupire-t-elle, dépitée. Son exploitation biologique va perdre 14 hectares de terres à cause du passage au sol du métro. Un peu plus loin, la ferme de La Martinière a, quant à elle, déjà été amputée de 75 hectares. 

Une partie des champs de Cristiana Modica Vandame, agricultrice à Villiers-le-Bâcle, seront bétonnés pour accueillir le futur métro. © Mathilde Pires
Un «long combat» contre l’urbanisation

Depuis le lancement du projet en 2006, plusieurs exploitant·es agricoles ont ainsi été expropriés. Des compensations financières ou d’autres terrains ont été proposés. Mais selon Cristiana Modica Vandame, le combat est ailleurs. « Quand on dit “on se moque totalement des 14 hectares, vous êtes en train de détruire un écosystème”, quand on essaye d’élever le débat au niveau de toute la biodiversité, il n’y a aucune réponse, assène l’agricultrice. Ce sont deux réalités qui s’opposent. » 

Convaincue que « la vraie agriculture » n’est pas compatible avec une telle urbanisation, elle s’est engagée avec son mari dans un «long combat» contre l’arrivée du métro et contre le projet « dévastateur » de Paris-Saclay. « On a toujours tenté de jouer le jeu de la démocratie. On a participé aux assemblées, aux réunions publiques et aux ateliers de travail. » À cause de la construction du métro, le couple ne pourra plus accéder à leurs parcelles situées de l’autre côté de la route. « Ils nous ont proposé de faire un pont, puis un souterrain, raconte Cristiana Modica Vandame. On leur a demandé de faire quelque chose de moins coûteux et de plus raisonnable avec l’argent public, comme un feu de circulation. » 

Sur les palissades de chantier, les slogans dénoncent l’arrivée de la ligne 18 du métro et l’installation du pôle scientifique et technologique. © Poline Tchoubar

Lorsque le projet Paris-Saclay et celui du métro ont été lancés en 2006, les autorités prévoyaient de ne conserver que 1 800 hectares de terres sur le plateau. Une décision qui compromettait la viabilité de l’agriculture sur le territoire. C’est seulement suite à la mobilisation d’associations et d’agriculteur·rices qu’une zone de protection naturelle, agricole et forestière (ZPNAF) a été créée dans la loi relative au Grand Paris du 3 juin 2010. Un dispositif juridique unique, rendant « non urbanisables » 2 354 hectares de terres agricoles. Mais aujourd’hui, Cristiana Modica Vandame juge cette loi avec amertume. «On s’est fait complètement berner dans cette histoire de ZPNAF. Ils ont eu la liberté de faire ce qu’ils voulaient avec tout le reste du territoire. Ils ont détruit tout un paysage, pas seulement agricole. » 

La rentabilité de la ligne 18 inquiète

Harm Smit, coordinateur du Collectif OIN Saclay (COLOS), non plus, ne «croit pas une seconde» que la ZPNAF protège durablement les terres agricoles. Et ce pour une raison simple, selon l’ingénieur informaticien à la retraite, le métro n’est rentable qu’à condition « de faire plein de constructions le long du tracé ». La Société du Grand Paris (SGP) a estimé la fréquentation à 150 000 passagers par jour. « La pression sera tellement forte, ne serait-ce que pour rentabiliser le métro, que tôt ou tard, il y aura un lobby qui poussera les députés et les sénateurs à modifier cette loi », lance-t-il, désabusé, en observant les ouvriers derrière ses lunettes rectangulaires. A bord de son véhicule, le militant circule entre les palissades de chantier et les feux de circulation provisoires, en soupirant. « Encore un bâtiment que je n’avais pas encore vu. »

Harm Smit, coordinateur de Colos, dénonce un métro non rentable qui favoriserait l’urbanisation du plateau, au détriment des terres agricoles. © Poline Tchoubar

Alors avec les autres opposant·es au projet, Harm Smit demande l’abandon de la ligne 18, au moins entre le pôle scientifique et Versailles. Une portion qui traverse « des petits villages » et une « plaine agricole ». En mars, un recours a été déposé au conseil d’État pour « invalider la gare de CEA Saint-Aubin ». Face à ces critiques, Philippe Van de Maele, directeur général de l’Établissement public d’aménagement Paris-Saclay (EPAPS), qui gère l’aménagement du plateau, tente de rassurer dans une interview. « Certains craignent que l’arrivée du métro provoque une urbanisation de la ZPNAF. Cette crainte n’est pas fondée. (…) Avant la mise en place de la ZPNAF, le territoire du plateau de Saclay perdait environ 20 ha de terre agricole par an. »

Les agriculteur·rices écouté·es mais pas entendu·es

Un peu plus loin sur le plateau, Pierre Bot a accueilli avec sa femme Nathalie Trubuil la signature de la charte de la ZPNAF dans leur ferme en 2018. Mais lui non plus ne fait pas non plus d’illusion. « La ZPNAF est protectrice, tant qu’on y touche pas, affirme-t-il. Mais quand on aura fini d’urbaniser toutes les terres qui ne sont pas protégées, dans quelles mesures ne va-t-on pas rouvrir la boîte de Pandore ? »

Le couple a perdu 25 hectares de terres agricoles à cause de l’urbanisation et du métro. Alors il a choisi de s’adapter, pour « garder une viabilité ». « On a développé du maraîchage en circuit-court », précise Pierre Bot. Poireaux, carottes, pommes de terre ont petit à petit remplacé les grandes cultures céréalières. 350 variétés de fruits et légumes sont ainsi proposées en vente directe à la ferme ou dans des paniers d’entreprise. L’arrivée de nouvelles sociétés sur le plateau sont autant de client·es potentiel·les.

La ligne 18 du métro, qui devrait traverser le plateau, reliant Massy (Essonne) à Versailles (Yvelines), devient extérieure à l’ouest du plateau de Saclay.© Mathilde Pires

Quant à la situation agricole du plateau, Pierre Bot veut rester « pragmatique ». « Le mille-feuille administratif complexifie énormément les choses », analyse-t-il. Entre l’État, la SGP, l’EPAPS, les communautés de communes ou encore les collectivités, il est parfois difficile de se faire entendre. « Quelle est l’importance de douze agriculteur·rices par rapport à des enjeux nationaux ? On est une entreprise comme les autres, lâche-t-il. Par contre, on a l’impression que la voix d’une entreprise a parfois plus de poids que celle d’un·e agriculteur·rice. »

Sollicitée, la SGP n’a pas répondu à nos interrogations.

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