Cerfs et chevreuils, les rois envahissants de la forêt des Andaines

Dans les 5 398 hectares de la forêt des Andaines (Normandie), l’augmentation de la population des cervidés inquiète garde-forestier·ères, chasseur·euses et agriculteur·rices. © Judith Pugliese

La multiplication du gibier dans les forêts françaises n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la nature. Les cervidés, friands de jeunes pousses, font peser une menace sur le renouvellement des arbres mais aussi sur les cultures des exploitations agricoles voisines. En Normandie, dans la forêt des Andaines, les forestier·ères s’organisent, les chasseur·euses aussi.

Son d’ambiance : bruits de la forêt des Andaines (Normandie)

Les traces de sabots fendus sont plus nombreuses que les empreintes de chaussures, le long des allées boueuses de la forêt domaniale des Andaines dans l’Orne. « En ce moment, il y a peu de visiteurs, mais beaucoup de cervidés et sangliers », commente Douglas Gilbert, technicien à l’Office national des forêts (ONF). Sur les 477 parcelles de chênes, d’hêtres, d’épicéas et de pins maritimes de ce petit poumon normand,  le gibier se reproduit à un rythme effréné. 

Douglas Gilbert, technicien à l’Office national des forêts rattaché à la forêt domaniale des Andaines (Normandie). Avant d’arriver dans l’Orne, il travaillait dans les forêts de l’Ile de la Réunion. © Judith Pugliese

« La disparition des grands prédateurs – le loup et le lynx notamment – dans les forêts françaises depuis des dizaines d’années a entraîné un gros déséquilibre car le gibier peut proliférer en toute quiétude », le garde forestier de 41 ans en montrant l’empreinte d’un chevreuil. La multiplication excessive de ces animaux n’est pas une bonne nouvelle pour la forêt et les exploitations agricoles voisines.

Au pied d’un hêtre bicentenaire, des dizaines d’arbres miniatures sont sortis de terre. Selon le garde-forestier, « le plus prometteur deviendra à son tour un hêtre monumental, sauf si un chevreuil passe par là et décide d’interrompre son ascension en grignotant ses feuilles dont il raffole. »

Un hêtre bicentenaire qui a rempli sa mission en donnant au pied de sa cime des dizaines de jeunes pousses d’hêtres. © Judith Pugliese
Une jeune pousse qui a éclos grâce au fruit du hêtre, le faîne. Ces jeunes pousses représentent l’avenir de la forêt, elles sont aussi le pêcher mignon des cervidés qui l’habitent. © Judith Pugliese

« Ces animaux s’attaquent principalement aux jeunes pousses.» Romuald Heslot, responsable de projets de restauration écologique à l’ONF – collègue de Douglas Gilbert – soulève un gros problème pour les forestier·ères. « On a des arbres qui ont dix ans mais qui font 10 cm de haut parce qu’ils sont systématiquement grignotés avant de pouvoir grandir. Ils ne meurent pas nécessairement, mais ils stagnent. »

Outre la dégradation végétale, la prolifération des cervidés peut, d’autre part, représenter un danger pour la faune elle-même. Plus le nombre d’individus augmente, plus l’espèce est vulnérable. « C’est comme pour les humains, nos ressources baissent à mesure que notre population augmente. Si les cervidés se reproduisent à ce rythme-là, en plus de ne pas avoir suffisamment de nourriture, ils développeront des maladies. »

Le Dr. Francis Roucher, expert en cervidés européens confirme : « La prolifération des chevreuils causerait chétivité, infécondité, vulnérabilité aux infections parasitaires et microbiennes, surmortalité des faons et vieillissement des populations. »

Des plantations sous haute-protection

Pour préserver les jeunes pousses de la menace des animaux, l’ONF a mis en place trois principaux dispositifs. D’abord la gaine individuelle. Celle-ci permet de protéger les futurs arbres des mammifères, particulièrement friands de ce type de plantes. Cette gaine représente toutefois un gros budget lors de la pose et de la dépose car elle nécessite d’être remplacée fréquemment. 

Une autre option consiste à poser un grillage individuel ou collectif sur des parcelles d’arbres en devenir. « Systématiquement, quand on plante de jeunes feuillus, surtout du chêne et du hêtre, il faut les protéger avec des grillages, développe Romuald Heslot, mais ça reste encore très cher », commente Romuald Heslot qui à l’habitude d’avoir recours à ce dispositif. 

Enfin, l’alternative la plus prometteuse selon lui est un répulsif réalisé à base de laine de mouton appelé Tricot. « On l’utilise pour les arbres résineux comme les pins, poursuit-il. Il n’est pas nocif pour l’environnement et il permet vraiment d’éloigner les bêtes. C’est un produit qui commence à faire ses preuves, même s’il n’est pas encore très développé. »

Tout à coup, deux pick-ups s’avancent dans la partie ouest de la forêt, les remorques bourrées de maïs.  Ce sont des chasseurs : « On va nourrir les sangliers ! »,  lance l’un d’eux tout en ralentissant le pas. Ils répandent du grain pour inciter les sangliers à rester dans la forêt. Une tentative pour limiter leurs déplacements vers les champs des agriculteur·rices.

Des agriculteur·rices qui comptent sur la chasse

Tous les ans, les chasseurs·euses doivent abattre un certain nombre d’animaux en fonction des comptages établis par les gardes forestier·ères. Si le nombre d’animaux abattus est inférieur ou supérieur aux limites fixées par l’ONF, la fédération doit payer la différence. Dans les 8 000 hectares de la forêt voisine des Écouves, 250 chevreuils doivent être tués dans l’année. Chaque animal tué doit être identifié avec un bracelet, distribué en nombre limité.

Traces fraîches de sabots de chevreuils, aperçues de bon matin dans la forêt des Andaines (Normandie). © Judith Pugliese 

Irène Breton est agricultrice à la retraite. Elle a transmis à son fils Michael une exploitation d’orge, de blé et de maïs. « Chaque année, c’est 25 % de notre exploitation qui part en fumée à cause du gibier de la forêt », déplore-t-elle. L’exploitation agricole familiale est située à la lisière de la forêt des Andaines. Jusqu’à présent, ils ont toujours été dédommagés par la fédération des chasseurs. 

Les agriculteur·rices ornais reçoivent pour la troisième année consécutive entre 900 000 et un million d’euros de la part de la Fédération de chasse en dédommagement des dégâts commis par le gibier dans leurs champs. Les quelque 800 dossiers indemnisés dans l’Orne sont financés via les cotisations des chasseurs.

«Les paysans comptent sur les chasseurs pour continuer à cultiver, assure Irène. Sans les chasseurs, plus de paysans et sans paysans, plus de nourriture pour les Hommes. » conclut-elle, définitive. 

À deux pas, dans la ferme laitière de la famille Ernault, une quarantaine de biches et environ quinze cerfs ont élu domicile au beau milieu des champs de blé, cultivés pour nourrir leurs vaches. « Si on avait le droit de tirer à vue ou de braconner on l’aurait fait », confie Vital Ernault, l’aîné de la famille. A défaut, ce dernier suggère de revoir à la hausse les objectifs annuels de chasse. Les animaux n’auraient pas besoin de quitter la forêt pour se nourrir s’ils étaient moins nombreux selon lui.

Dans cette région : Lille, Calais