Dépôts sauvages d’ordures : en région parisienne, des maires au bout du rouleau

La décharge d’Orry-la-Ville vue de l’intérieur -

Les dépôts d’ordures illégaux se multiplient en région parisienne, aussi bien en ville qu’à la campagne. Les maires des petites communes désespèrent face à ce fléau qui leur coûte des milliers d’euros par an et cherchent tant bien que mal à le combattre.

Nathanaël Rosenfeld fulmine à l’entrée de la décharge illégale d’Orry-la-Ville, commune de 3300 habitants située au nord de l’aéroport de Roissy. Le maire n’en peut plus : « Ils doivent se présenter tous les jours à la gendarmerie jusqu’à la fin de leur mise en examen mais les gendarmes me disent qu’ils ne le font pas, ils s’en foutent ! ». « Ils », ce sont les gérants de l’entreprise de nettoyage industriel qui louent ce terrain d’un hectare sur lequel des tonnes de déchets s’entassent illégalement depuis six ans. 

Le cas d’Orry-la-Ville n’est pas isolé. Des quelques sacs de gravats abandonnés en bord de route aux décharges de plusieurs hectares, les dépôts sauvages d’ordures se multiplient en région parisienne. L’association Stop Décharges Sauvages en a dénombré 200 en Île-de-France en 2020. Un nombre déjà atteint en mai 2021.

Un phénomène difficile à chiffrer aux impacts réels

Et la région parisienne est tristement en tête du palmarès. Quand 21,4 kg de déchets sont jetés dans la nature par an et par habitant·e en France, ce sont 25 kg en région parisienne selon un rapport l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) de février 2019. « Il y a des décharges illégales à Vernouillet dans les Yvelines ou à côté de Pontoise par exemple », détaille Maxime Colin, chargé de communication chez France Nature environnement. « En ville, dans les zones rurales, il y en a partout ». Pour réaliser ce rapport, l’Ademe a sondé près de 3 000 communes. Neuf sur dix estiment être concernées par le problème des dépôts sauvages d’ordures.

En zone urbaine, les dépôts sont plus diffus mais plus visibles. Ils pourrissent la vie des habitants. Thierry Picouret, vit à Ivry-sur-Seine, commune limitrophe de Paris, depuis 25 ans et y élève sa fille. « Quand elle était petite, nous étions obligés de rouler sur la route avec la poussette car les ordures bloquent les trottoirs », explique le quadragénaire. Au détour d’un coin de rue, il découvre une décharge illégale de 200 mètres carrés cachée derrière une maison abandonnée.  « D’habitude, les dépôts de déchets sont plus visibles et plus petits », avoue Thierry, stupéfait par sa découverte. Il prend une photo qu’il mettra en ligne plus tard, sur le groupe Facebook qu’il a créé : Ivry : la déchetterie est aussi dans la rue.

Thierry Picouret, habitant d’Ivry-sur-Seine, découvre une décharge sauvage dans une maison abandonnée sur la commune.
© Victor Depois

En zone rurale, les dépôts sont plus importants, moins visibles et finissent par devenir de véritables décharges illégales. À Orry-la-Ville, un conséquent dépôt de déchets se trouve à l’extrême nord-ouest de la municipalité, en milieu de forêt. Comme beaucoup d’habitant·es, Mélodie, trentenaire qui travaille à Paris, avoue qu’elle ne savait « qu’il y en avait un à cet endroit ». La décharge est quasiment invisible depuis la route mais pourrait avoir des conséquences bien réelles. « Il y a une nappe phréatique sous le terrain qui sera sans doute polluée par les dépôts d’amiante », indique le maire de la commune, Nathanaël Rosenfeld.

Nathanaël Rosenfeld, maire de Orry-la-Ville, déplore l’existence d’une décharge sauvage dans sa ville.
© Victor Depois

La majorité des déchets sauvages proviennent d’entreprises du BTP. 80% selon l’association Stop Décharges Sauvages. D’après son fondateur, Alban Bernard, le phénomène s’explique par la relation commerciale entre entreprises, artisans et client·es. « Les gens veulent des remises commerciales sur leurs travaux et les entreprises gagnent sur la mise en déchèterie. Tout simplement », résume M. Bernard. La mise en déchèterie coûterait en moyenne entre 35 euros pour une tonne de déchets verts et 150 euros pour du tout-venant, les prix pouvant grimper jusqu’à plus de 500 euros pour la prise en charge d’une tonne d’amiante. 

Un juteux business qui coûte cher aux communes

L’entreprise qui loue le terrain devenu décharge illégale à Orry-la-Ville, TLM Pro, a développé une activité économique, illégale, autour de l’exploitation du site. « Ils vont voir des entreprises du BTP et leur proposent d’évacuer leurs déchets pour des prix défiant toute concurrence », explique Nathanaël Rosenfeld, devant le portail d’entrée du site, masqué par une bâche verte. « Ils jettent les déchets sur le terrain et prennent leur billet », ajoute le maire. L’exploitation de ces sites peut rapporter gros. Selon certaines estimations, l’ancienne plus grande décharge illégale française, à Carrières-sous-Poissy (Yvelines), aurait rapporté jusqu’à 10 000 euros par jour à ses exploitant·es jusqu’à son nettoyage, l’an dernier. 

La décharge illégale d’Orry-la-Ville vue de l’extérieur. Le terrain, tout en longueur, fait un hectare.
© Victor Depois

Problème : il est très difficile de retrouver les responsables. Peu d’indices dans les déchets, des moyens de répression qui coûtent chers et des entreprises volatiles. Quand on essaye de joindre TLM Pro par téléphone, on apprend que l’enseigne aurait déménagé. « Ces entreprises, elles ouvrent, elles sous-traitent et elles ferment », déplore le maire. Difficiles à tracer, donc. Autre soucis, le prix du nettoyage. À Orry-la-Ville, on estime à 500 000 euros le prix de l’opération. « On n’a pas les moyens de faire évacuer nous-mêmes », désespère M. Rosenfeld.

Pas de décharge illégale à Baillet-en-France (Val-d’Oise), commune rurale de 2000 habitant·es, mais des dépôts qui s’accumulent. Le ramassage « coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros par an », estime Richard Grignaschi, premier adjoint au maire. Claude Bouyssou, adjointe au maire déléguée à la culture et à l’environnement,  dénombre quant à elle neuf passages de l’équipe technique pour ramasser des dépôts d’environ « 800 kilos à chaque fois ». Selon elle, les déchets proviennent principalement « d’artisans ». « On retrouve surtout des lavabos, de l’isolant, du bois et des gravats », poursuit Claude Bouyssou.

Claude Bouyssou et Richard Grignaschi, adjoints au maire de Baillet-en-France, posent devant la mairie. Ils désespèrent de voir des dépots de déchets s’amonceler sur la commune.
© Tristan Vartanian
Les communes, désemparées cherchent des solutions

Le principal problème des dépôts sauvages est l’accumulation, d’où la nécessité pour les communes de réagir rapidement. « Il y a eu une opération de nettoyage ce matin », explique Richard Grignaschi. Autrement, « comme sur les terrains de la Sanef (Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France) à l’entrée du village », les déchets s’amoncellent. « La société réagit plus lentement que nous et ça se voit », poursuit M. Grignarschi. Des tonnes de déchets du BTP se sont en effet accumulés sur les terrains de l’entreprise à l’entrée de Baillet.

« Je ne sais pas s’il sera un jour possible d’éliminer complètement les dépôts sauvages», confie l’adjoint au maire dans un soupir. Selon lui, « les gens préfèrent risquer une amende plutôt que de payer la déchèterie ». Un individu qui agit, véhiculé, au nom de son entreprise, risque jusqu’à deux ans de prison et, ou, 75 000 euros d’amende. Un particulier à pied risque 68 euros d’amende et jusqu’à 1500 euros s’il est véhiculé. 


Les déchets s’amoncellent sur les terrains de la Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France.
© Tristan Vartanian

Pour combattre le fléau, des caméras de chasse doivent être installées dans les zones les plus touchées de la commune de Baillet. « Nous allons devenir une « commune test » de la communauté des communes pour cette méthode de répression », explique Richard Grignarschi. « Le but est d’attraper les criminels en flagrant délit », développe-t-il. Ces caméras permettraient des vidéos-verbalisations, comme les flashs routiers. Le seul hic est leur prix : entre 500 et plusieurs milliers d’euros par appareil.

Il est pour le moment très rare de mettre la main sur les coupables. Sur neuf dépôts d’ordures en 2020, Claude Bouyssou a déposé trois plaintes. L’une d’entre elles seulement a débouché sur une mise en examen. « On passe devant le juge au mois de septembre pour une personne qui a été retrouvée », affirme l’adjointe au maire de Bailelt. M. Bertrand*, un artisan de la région, aurait déposé des gravats le long d’une route en avril 2020. Il a laissé des étiquettes sur place qui ont permis son identification et sa mise en examen. M. Bertrand, joint par téléphone, affirme n’être au courant de rien. 

À Orry-la-Ville, Nathanaël Rosenfeld s’impatiente : la situation évolue lentement depuis six ans. Pourtant le maire ne blâme personne. « Tout le monde fait son job. Le préfet ne peut pas agir tant qu’il n’y a pas de condamnation de justice. Et la justice est hyper lente », explique-t-il. Un arrêté préfectoral du 1er avril ordonne le nettoyage de la décharge illégale. TLM Pro a jusqu’au 1er juin. « Comme ils ne vont pas le faire, on va devoir s’organiser », dit le maire dans un hochement d’épaules. « Et ça peut encore durer longtemps », conclut-il en claquant la portière de la Kangoo municipale avant de démarrer, direction la mairie. 

Victor Depois

Dans cette région : Paris, Saint-Denis, Nanterre, Ivry-sur-Seine