Les déblais encombrants du métro du Grand Paris

L'Installation de stockage de déchets inertes (ISDI) de Villeneuve-sous-Dammartin (Seine-et-Marne) stocke 1 087 000 tonnes de déblais des chantiers du Grand Paris Express - Crédits : Tristan Vartanian

Les chantiers du Grand Paris Express devraient produire 45 millions de tonnes de déblais en dix ans. Leur valorisation devient un véritable casse-tête, d’autant que les sites habilités à les traiter manquent en Ile-de-France.

Pas moins de 600 véhicules par jour. Un poids lourd entre et sort toutes les minutes de la plus grande Installation de stockage de déchets inertes (ISDI) d’Ile-de-France, située à Villeneuve-sous-Dammartin (Seine-et-Marne), au nord-est de Paris, au-delà de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle. Chaque camion vient déverser sur le site, grand de 134 hectares, plusieurs tonnes de remblais. On recense des terres de tunneliers, des gravats triés mais aussi de simples terres. Ces matériaux sont ensuite amassés sur d’immenses terrils gris, bruns ou ocres, hauts de plusieurs dizaines de mètres. Entourée de champs de colza, la zone de stockage fait tâche dans le paysage.

Dans l’ISDI de Villeneuve-sous-Dammartin, 600 véhicules par jour viennent déposer leurs déblais

Ces déblais proviennent des chantiers des nouveaux métros en construction, très attendus par les Franciliens. Depuis juin 2016, les lignes 14, 15, 16, 17 et 18 sortent progressivement de terre. Mais les quantités de déchets à traiter donnent le tournis. Sur une décennie, la Société du Grand Paris a estimé la quantité de terres excavées par les tunneliers à 45 millions de tonnes, soit l’équivalent de 9000 bassins olympiques de deux mètres de profondeur. Les quantités sont telles que les sites pour les traiter tendent à manquer.

Indifférence générale

À Villeneuve-sous-Dammartin, petit village agricole de Seine-et-Marne, la cohabitation des 650 habitant·es avec la zone de stockage se déroule sans heurt. Il faut dire que l’exploitant ECT, fait tout pour pacifier les relations. L’entreprise, dont le siège social est domicilié dans la commune, dédommage la mairie des nuisances par la réalisation de petits travaux de terrassement ou de réfection de routes quand ceux-ci sont nécessaires.

« Je ne me suis jamais posé la question des conséquences sur l’environnement », confie Stefen Rancy, électricien de 49 ans, presque étonné par notre question. Les Villeneuvois·es se montrent très peu préoccupé·es par d’éventuelles conséquences de l’ISDI sur l’environnement et leur santé. Et pour cause, les contrôles sont stricts et obligatoires à l’entrée de la zone de stockage, d’après Nacer. Le chauffeur poids lourd de 55 ans vient juste de livrer des terres. Il profite de son passage à la station-service pour nettoyer son véhicule et témoigner de ses déboires. « Il est arrivé que les terres que je transportais contiennent un peu de plastique. Les agents d’ECT m’ont renvoyé de là où je venais. Ils contrôlent tout ».

Nacer, chauffeur de poids lourds, vient déposer ses déblais dans l’ISDI de Villeneuve-sous-Dammartin (Seine-et-Marne) – Crédits : Tristan Vartanian – 12 mai 2021

Malgré les efforts entrepris par l’exploitant et la mairie, il arrive tout de même quelques déconvenues. « Les camions passent toute la journée. Une fois, l’un d’entre eux m’a cassé mon pare-brise. Un débris est tombé de sa benne non bâchée. Je l’ai fait savoir à ECT qui n’a jamais voulu me rembourser », raconte Jonathan Lopez, chauffeur de taxi de 29 ans.

La résistance s’organise

Tout l’enjeu pour la Société du Grand Paris c’est d’être en mesure de traiter tous ces déblais sans jamais se retrouver en manque d’espace pour les recueillir. « Tous les travaux des métros ont débuté en même temps. Le problème c’est qu’il y a tellement de matériaux que leur valorisation devient limitée. Ce n’est pas tant la quantité mais le flux ramené à une unité de temps qui pose problème », analyse Luc Campistron, ingénieur expert en gestion et traitement des déchets. Sa société, Valo Consult, conseille les principaux terrassiers d’Ile-de-France, prestataires de la Société du Grand Paris.

Pour répondre à cette demande, Bouygues Travaux Publics travaille depuis plusieurs mois à la création d’une nouvelle zone de stockage à Saint-Hilaire (Essonne), village de 400 habitant·es situé au sud-ouest de Paris, après la forêt de Rambouillet. L’entreprise envisage d’entasser, durant huit ans, 1,4 million de mètres cubes de déblais. Ceux-ci devraient s’étendre sur un terrain de 34 hectares, l’équivalent de 43 pelouses du Stade de France. Pour préserver les vertus de la terre actuellement présente sur le site, l’exploitant va la mettre de côté, avant d’ajouter les remblais. La terre originale recouvrira l’ensemble ce qui pourrait ressembler à une petite colline lisse qui culminerait à 4 mètres au-dessus du niveau du sol actuel. Afin de rassurer la population, l’entreprise s’est engagée à n’admettre que des terres et des pierres ne contenant aucune substance dangereuse et d’effectuer des contrôles systématiques sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

« Ce n’est pas une revalorisation agricole, c’est une décharge à proprement dit »

« Le projet, je n’en veux pas. Je ne veux même pas en entendre parler. 1,4 million de mètres cubes, ce n’est pas une revalorisation agricole, c’est une décharge à proprement dit », s’emporte Stéphane Demeulemeester, maire sans étiquette de Saint-Hilaire. Le dialogue est rompu avec Bouygues Travaux Publics. Luttant avec les armes dont il dispose, le maire a pris un arrêté communal interdisant la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes dans la commune afin d’empêcher les déblais de rejoindre la ville.

Stéphane Demeulemeester, maire sans étiquette de Saint-Hilaire (Essonne) s’oppose au projet d’ISDI de Bouygues Travaux Publics – Crédits : Tristan Vartanian

« On va se retrouver avec des écoulements de boues qui vont aller vers un bassin versant de La Louette, la Chalouette et la Juine [cours d’eau potables]. Le projet va bouleverser le biotope local. Toute la faune et la flore vont disparaître »,  décrit Claude Jaillet, vice-président de l’Association de défense de la santé et de l’environnement (ADSE), très inquiet. L’économie locale aussi pourrait être impactée. Le département de l’Essonne est le premier producteur de cresson en France. « Si des polluants migrent, le cresson ne pourra plus être cultivé et vendu », estime Claude Jaillet. « Les déchets inertes ne se transforment pas et ne subissent pas de réactions chimiques. Ils sont stables et ne bougent pas dans le temps. Il peut y avoir des écoulements et des poussières qui sont traînées le long des cours d’eau mais on n’a pas affaire à des polluants », relativise Luc Campistron, gérant de Valo Consult, qui considère qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter.

Les habitant·es et associations de défense de l’environnement sont aussi fermement opposé·es au projet. Une manifestation a réuni le 2 mai près de 500 personnes à Étampes, la sous-préfecture du département, d’après les chiffres communiqués par l’ADSE. La mobilisation prend une tournure de plus en plus politique. Une motion a été signée par les principaux·ales élu·es du département mais aussi par Audrey Pulvar (SE), Clémentine Autain (LFI-PCF), Julien Bayou (EELV) et Valérie Pécresse (Libres !), toutes et tous candidat·es aux régionales d’Ile-de-France. « Je n’ai jamais eu autant d’ami·es », ironise le maire de Saint-Hilaire.

Claude Jaillet (droite) et Franck Balseiro (gauche) de l’ADSE ont lancé une pétition contre le projet d’ISDI de Saint-Hilaire (Essonne) – Crédits : Tristan Vartanian

La demande d’enregistrement est aujourd’hui ajournée en préfecture en attente de pièces complémentaires de la part de Bouygues Travaux Publics. Seul le préfet pourra donner ou non l’autorisation de mener à bien ce projet.

En venir à bout

Stocker les déblais en les entassant façon terrils comme à Villeneuve-sous-Dammartin, les épandre et les recouvrir de terres agricoles, comme à Saint-Hilaire sont quelques-unes des solutions envisagées. Mais pas les seules. Les terres inertes peuvent être valorisées de nombreuses autres manières. Elles servent parfois à aménager des terrains pour installer des panneaux solaires, à isoler des nuisances sonores certaines habitations par la construction de talus antibruit ou à sécuriser des carrières. En Ile-de-France, les galeries du massif du Montmorency sont remplies de terres afin de prévenir l’effondrement de l’édifice. Alors que la Société du Grand Paris s’est engagée à valoriser 70% de ses déblais, la quantité produite est telle que les espaces risquent de manquer.

Pour autant, ce n’est pas la première fois dans l’Histoire qu’une grande quantité de déblais doit être valorisée. En 1901, les ingénieurs de la ligne Paris-Versailles (ancien RER C) étaient déjà confrontés à la même question. La solution était venue de la plaine d’Issy, submersible, qui grâce aux terres excavées, s’était retrouvée protégée des crues de la Seine.

Dans cette région : Paris, Saint-Denis, Nanterre, Ivry-sur-Seine