Roms : la recherche d’un emploi pour sortir du terrain vague

Surnommé le « platz » par ses habitants, le bidonville de Rosny-sous-Bois (93) continue de s'agrandir. Depuis quelques semaines, il compte une trentaine de nouveaux occupants. © Léo Seux

La pluie, le froid, le vent, c’est le lot quotidien des personnes qui vivent dans un bidonville. La nature et ses aléas, elles la vivent bien malgré elles. Dans l’espoir de ne plus avoir à l’endurer et avec l’aide de bénévoles, elles se mettent en quête du sésame : un emploi.

Au bout de l’allée de terre qui dessert tout le campement de Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, un petit sentier s’infiltre dans la forêt, parallèlement à l’autoroute. Il mène directement dans la zone d’activité où se trouve Pôle emploi. Comme une allégorie du chemin qui reste à parcourir : long et semé d’embûches. D’un habitat de fortune en marge de la ville au guichet de Pôle Emploi, il y a un grand pas. Le suivant, celui qui mène à un emploi stable, avec à la clé l’espoir de quitter un jour cette friche urbaine, est encore plus grand.

En surplomb de l’autoroute A86, à l’ouest de Rosny-sous-Bois, quelques bâches bleues surgissent au milieu du vert des arbres. Coincées entre une forêt et l’asphalte, 120 personnes se sont installées depuis juin 2020 sur un terrain appartenant au gestionnaire autoroutier. Sur cet espace, rebut de l’urbanisation, ils et elles ont construit des cabanes avec des palettes, planches, portes et fenêtres de récupération. Un habitat précaire que tous·tes rêvent de quitter un jour pour un logement stable.

Installé au bord de l’autoroute, le bidonville de Rosny-sous-Bois (93) est très exposé au bruit de la circulation. Parfois le pneu d’une voiture éclate, mais pas de quoi distraire les occupant·es. © Léo Seux

« Mécanique, entretien d’espaces verts, livraison… Je peux tout faire ! », assure Arthur, 24 ans, dans un français hésitant. Cheveux noirs, un peu de barbe et un smartphone entre les mains, le jeune homme est prêt à tout pour décrocher un emploi et enfin quitter le camp. Arrivé de Roumanie il y a dix ans avec ses parents, il fait partie des quelques adultes du bidonville à parler un peu français. Pas suffisamment pour convaincre. « Je suis inscrit depuis trois ou quatre mois à Pôle Emploi, mais on ne m’a rien proposé, déplore-t-il. Un conseiller m’a même dit un jour : ‘toi, tu ne parles pas assez bien français.» Mais pour arriver jusque là, encore faut-il venir à bout des formalités administratives.

Des procédures kafkaïennes

« Il faut vous connecter à votre espace personnel », une phrase anodine en apparence, bien moins quand on vit dans une baraque rudimentaire au pied d’un bosquet, sans raccordement électrique stable, sans équipement informatique ni Internet… Autre frein à toute démarche administrative : avoir une adresse. Sans facture téléphonique ni d’électricité à présenter, impossible d’en justifier. Pour y remédier, il faut établir une domiciliation, ce qu’a fait le Secours catholique. Une fois lancées, les procédures –– dossiers de plusieurs pages à remplir, rendez-vous successifs, documents à fournir –– deviennent rapidement insurmontables pour des personnes ayant des difficultés à lire et écrire. Les bénévoles sont là encore au rendez-vous. Faire ce travail, c’est les aider à « s’insérer, à trouver une place dans la société », explique Nicolas Clément, du Secours catholique.

« Pour eux, tout est une bataille, tout ! »

Mais parfois l’administration se transforme en véritable jungle. Pôle emploi prévoit un dispositif spécifique pour les personnes qui n’ont ni logement, ni revenus : l’accompagnement global, qui nécessite d’avoir un·e assistant·e sociale. Et c’est là que tout se corse : Corinne Espagno, du collectif Stop Expulsion Rosny a dû batailler avec le centre communal d’aide sociale pour réussir à obtenir le suivi par un·e assistant·e social·e d’une des résidentes, avant de se voir opposer un refus systématique pour tous·tes les autres habitants·es du bidonville.

L’argument ? « Il faut justifier d’un lien avec la commune » lui a-t-on répondu. Et aux yeux de la mairie, occuper illégalement ce terrain vague n’en constitue pas un. De quoi révolter la militante. « Ils sont seuls et entourés d’institutions et de politiques qui les mettent dans cette situation, s’enflamme Corinne Espagno. Ce n’est pas juste qu’on ne les aide pas, on les empêche de s’en sortir. Pour eux, tout est une bataille, tout ! »

Corinne Espagno, 50 ans, est membre du collectif Stop Expulsion Rosny et documentariste. Elle prépare un documentaire sur une famille du campement. © Léo Seux

Une avancée à petits pas

Travailler, Rosa*, 43 ans et six enfants, en rêve et elle y met tout son enthousiasme. Partie de Roumanie, elle et sa famille ont passé douze ans en Espagne. Mais faute de travail, ils ont dû à nouveau migrer pour venir s’installer il y a quelques mois dans le bidonville de Rosny-Sous-Bois. Un nouveau pays, et une nouvelle langue à apprendre. Pôle emploi lui a justement proposé des cours de français. Mais en attendant, Corinne joue les interprètes.

« Bonjour, vous avez votre numéro d’identification ? – Tu número de identificación, lo tienes ? – No sé. Qué número ? – Sinon, si madame a sa carte d’identité, on peut le retrouver. » A l’accueil de Pôle emploi ce jeudi matin, le français se mêle à l’espagnol. Objectif pour Rosa, accompagnée de Corinne : franchir une nouvelle étape dans son accompagnement par l’agence. Après une inscription en ligne, des entretiens avec un·e conseiller·ère et plusieurs mois d’attente, à la sortie du rendez-vous, la mère de famille bénéficie finalement du programme d’« insertion par l’activité économique ».

Si son dossier est retenu, elle pourra intégrer en septembre un chantier d’insertion dans les espaces verts. Un emploi qui bénéficie d’un allègement de charges pour l’employeur, qui agit en contrepartie pour l’insertion de personnes éloignées du monde du travail. Un poste au mois de septembre, la perspective est réjouissante. Mais à la sortie du bâtiment tout en verre, Corinne est plus enthousiaste que Rosa. Quatre mois à patienter, cette lueur d’espoir paraît bien lointaine aux yeux de la principale intéressée.

« Je suis fatiguée de tant d’efforts et de lutte pour si peu de résultats »

De retour sur le campement, Rosa réfléchit à sa situation autour d’un café. Malgré toutes les démarches engagées, sa famille vit toujours dans un cabanon, soumis au froid et aux aléas de la météo, avec pour seul toit des planches recouvertes de bâches en plastique, et un baril qui fait office de poêle à bois. Loin du foyer stable qu’elle voudrait offrir à ses enfants. A son fils de 8 ans, David*, elle a même promis un chien dès que la famille aura une vraie maison. « Je suis fatiguée de tant d’efforts et de lutte pour si peu de résultats », déplore-t-elle.

Construites de bric et de broc, les baraques du campement de Rosny-sous-Bois (93) n’offrent qu’un confort très rudimentaire. © Léo Seux

En attendant un emploi, le système D

Et la précarité devient vite un frein à la réinsertion, d’autant qu’aucune aide sociale ne leur est accordée tant qu’ils et elles n’ont pas d’emploi déclaré. Selon les bénévoles, chaque famille vit en moyenne avec cinq à vingt euros par jour, durement glanés. « Chaque fois que je vais aller à un cours de français, mes enfants ne vont peut-être pas manger… » Les propos de Rosa, rapportés par Corinne sonnent comme un terrible dilemme. Le calendrier des encombrants aura en tout cas eu raison du cours de français la semaine suivante. Rosa et son mari ont passé des journées entières à écumer les trottoirs afin de ramasser le maximum d’objets pouvant être revendus. L’enjeu : vivre une partie du mois des revenus tirés de trois jours d’encombrants.

« Chaque fois que je vais aller à un cours de français, mes enfants ne vont peut-être pas manger… »

A l’entrée du campement, des voitures, quatre, cinq selon les jours. Et autour, des mains noircies de cambouis. Une dizaine d’hommes s’affairent à les réparer. Elles leur sont confiées par des connaissances, le bouche-à-oreille fait le reste. Mais en s’avançant dans l’allée du bidonville, autour de 15 heures, personne. Que ce soit la mendicité, le ramassage puis la revente de ferraille, de tissus, la mécanique ou d’autres petits boulots non déclarés, « les gens travaillent tous, ils ont une activité », souligne Nicolas Clément, bénévole du Secours Catholique.

Cette vie au jour le jour n’est cependant pas immuable. Les bidonvilles ne disparaissent pas du paysage, aux abords des autoroutes, dans les zones laissées à l’abandon, ils perdurent parfois plusieurs années. Mais si les cabanes restent, les habitants·es changent généralement. « Il y a l’impression d’une situation stable, mais l’insertion est bien réelle, note Grégoire Cousin, auteur d’une thèse sur la gestion des migrations roms. Sur dix ans, les chefs de famille ont tous ou presque du boulot. »

Mais pour les habitants·es du baraquement, cette échéance paraît d’autant plus lointaine que le temps est compté. Toutes les démarches engagées peuvent être réduites à néant du jour au lendemain. Le bidonville est en effet sous la menace d’une expulsion. Le risque, c’est de perdre le fruit des processus d’insertion en cours, en plus du « réseau de confiance » établi avec ceux qui leur viennent en aide déplore Corinne. 

*Le prénom a été modifié.

Dans cette région : Paris, Saint-Denis, Nanterre, Ivry-sur-Seine