Fermes citoyennes bretonnes : coopérer pour mieux semer

Les paysans de la ferme citoyenne du Méot dans l'une des serre de la ferme © Inès Khiari

En Bretagne, les grandes exploitations agricoles sont de plus en plus gourmandes. Leur système : acheter des terres, toujours plus de terres, pour mieux s’agrandir, au grand dam des petit·es fermier·ères incapables de suivre face à un foncier exorbitant. La solution ? Créer des fermes biologiques coopératives où les paysan·nes sont locataires et où les citoyen·nes sont propriétaires.

15 heures, piaillements mélodiques des oiseaux et soleil au beau fixe. Des éclats de rire se font entendre dans la ferme du Méot, située dans la commune du Loperhet dans le Finistère. C’est l’heure de la pause-café pour Sten, Max, Antoine et Tecla. On sort les tasses en porcelaine. « D’habitude on boit au seau », s’esclaffe d’un ton farceur Antoine. Tous sont paysan·nes et exploitent les 90 hectares de terre du Méot. Ils ne sont pas propriétaires, mais locataires de cette ferme citoyenne. Plus encore, ils se revendiquent  « Passeurs de terre ». « Cette ferme est  un bien commun. L’intérêt c’est que la terre soit exploitée et qu’elle puisse être transmissible pour que, dans 200 ans, il y ait toujours des paysans en place », explique Sten.

Le bruit des oiseaux dans la ferme du Méot à Loperhet (Finistère)

Arrivé en 2012, il est le premier des quatre à s’y être installé, après que le propriétaire Patrick Emzivat a décidé de vendre ses terres à l’association Terre de Liens, créée en 2003. Objectif de cette dernière : permettre aux paysan·nes de s’installer à l’heure où le prix du foncier atteint des sommets, allant jusqu’à 5 910 euros l’hectare de terre. Une augmentation de 16,4% depuis 2012. En Bretagne, les exploitations, de plus en plus spécialisées, ne cessent de s’agrandir. Si dans les années 50 la superficie moyenne des exploitations françaises était de 15 hectares, elle est de 63 en 2016 selon le ministère de l’Agriculture, laissant ainsi peu de choix aux petits paysans au moment de l’achat. Avec le système mis en place par Terre de liens, tout·e citoyen·ne peut investir son épargne dans une foncière Terre de liens ou un groupement foncier agricole (GFA) géré par l’association. Ce groupement permettra d’acheter les terres et installer les paysans-locataires qui le souhaitent. Seule exigence : maintenir une agriculture raisonnée et biologique. Comme la ferme du Méot, il existe une cinquantaine de fermes citoyennes en Bretagne.

Ferme du Méot à Loperhet (Finistère)-Les paysans Antoine, Tecla et Sten prennent leur pause  © Inès Khiari

« Nous travaillons à notre rythme sans pression »

Dernière gorgée de café et le travail reprend pour les quatre paysan·nes de la ferme. Au Méot, les terres sont partagées de manière à créer un environnement coopératif. « On se partage ces terres avec chacun une identité agricole », déclare Max. Avec Antoine et Tecla, il s’occupe de la partie maraîchère de la ferme. Sur quatre hectares de terre, une trentaine de serres construites à la main s’étendent.  Ses tomates, comme tous les autres légumes, seront vendus en circuit court. «  Ce qui est bien avec ce modèle c’est que nous fixons les prix nous-même et nous travaillons à notre rythme sans pression », déclare Max.

Ferme du Méot Loperhet (Finistère)-Les maraichers, Antoine, Max et Tecla, dans une des 30 serres de la fermes © Inès Khiari

« Du calme ! Du calme ! » s’écrie Sten qui s’occupe des vaches à viande de l’autre côté de la ferme, alors que son troupeau gambade à vive allure sur cette large pâture verdoyante. Au nombre de 90 en tout, elles restent toute l’année à l’air libre. Sten est issu d’une grande famille d’exploitants maraîchers. Face à des pratiques agricoles qu’il ne cautionne pas, il a décidé de leur tourner le dos. Aujourd’hui, arrivé à la quarantaine et renié par sa propre famille, il ne regrette pas son choix. « J’arrive à gagner ma croûte dans un environnement sain, qu’est-ce qu’on veut de mieux franchement ? », se réjouit-il. Il a posé ses bagages à la ferme du Méot et il n’est pas prêt de la quitter. A titre symbolique, il a tout de même racheté un hectare de terre sur les 90 qu’il loue à la foncière Terre de liens. Sans aucun prêt à sa charge, Sten ne s’inquiète pas pour son futur. Durant sa carrière, il peut plus facilement épargner. 

Ferme du Méot à Loperhet (Finistère)-Sten Le Gall, éleveur bovin, exploite les terres de la ferme depuis 2012 © Inès Khiari

Un modèle qui attire les jeunes

Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes sont tentés par ce type de modèle paysan où le bio fait loi et où le grignotage des petites fermes agricoles n’est plus possible grâce à Terre de liens, qui les sécurise par ses achats. Depuis sa création, 5 750 hectares de terre ont été achetés par le groupement foncier Terre de liens et 318 fermier·ières qui se sont installé·es. Antoine, 25 ans, ne l’aurait jamais fait à son âge sans cette initiative de ferme citoyenne. « A notre âge, se lancer dans une ferme comme celle-ci seul ce n’est pas le même soutien moral. Ici, on mange ensemble le midi, on se partage le matériel, c’est motivant », affirme-t-il.

Ferme de Ty An Digor à Crozon (Finistère)-Aurélie, paysanne de la ferme range le fournil. Elle produit 100kg de pain par semaine © Inès Khiari

Comme Antoine, à 45 km de là, Amélie et Vincent, la trentaine, sont aussi locataires d’une ferme coopérative. Avec l’aide de Terre de liens, ils ont créé un groupement foncier agricole. Aujourd’hui il et elle sont installé·es dans la petite ferme de Ty An Digor à Crozon, une presqu’île située en face de Brest. Tou.tes deux ont abandonné leur vie à Pontivy, commune du Morbihan, pour créer cette ferme biologique qui propose fromage et pain. Une grange en taule construite avec les moyens du bord, un fournil en pierre, quelques outils entassés dans un hangar et un grand frigo réaménagé en fromagerie, la ferme de Ty An Digor s’attache à un modèle agricole paysan et traditionnel. « Ceux qui s’installent dans ce modèle-ci sont déçus de l’agriculture productiviste », explique Ali Aït Abdelmalek, sociologue à l’Université de Rennes 2 « En plus de cette motivation symbolique, il y a aussi des raisons économiques, car ils ont compris que le bio était un marché à prendre. Le seul problème, c’est qu’investir seul est de plus en plus difficile et davantage lorsqu’on est jeune », poursuit-il.  Aurélie était auparavant monitrice-éducatrice pour personnes handicapées, Vincent, quant à lui, travaillait en CDD dans un lycée mais la vocation pour l’agriculture était plus forte que tout. « Dès ma vingtaine, je m’intéressais à l’agriculture biologique. Je me suis dit que le seul moyen de savoir si on en vit ou pas, c’était de le faire », se remémore-il.

La ferme Ty an Digor, une ferme citoyenne minimaliste

Seul problème, les moyens leur manquaient. 120 000 euros, c’était le prix à payer pour acheter les terres de la ferme de Ty an Digor. La solution : créer un groupement foncier agricole (GFA) permettant à des citoyens d’investir dans l’achat de la ferme. Et c’est grâce à Terre de liens et la mobilisation de plus 78 souscripteur·ices qu’ils sont aujourd’hui les heureux locataires de cette ferme citoyenne aux modestes 10 hectares. « Contrairement à des fermes conventionnelles, on a une réelle liberté d’actions mais le seul problème c’est qu’on peut vite s’exploiter nous-même», témoigne Aurélie.

Ferme de Ty An Digor à Crozon (Finistère)-Vincent, éleveur laitier, fait sa traite matinale © Inès Khiari

Dès le matin, Vincent débute la traite à la main. C’est Jackie qui a le privilège de se faire traire en premier, puis c’est au tour de Jojoba, et ainsi de suite. Chaque vache attendant patiemment leur tour. Elles sont 12 et même si elles ont toutes un numéro, Vincent préfère les appeler par leur prénom. Il lui faudra une bonne heure pour les traire toutes.  « On est dans une ferme très minimaliste, qui joue sur la débrouille et la récup’, on n’a pas vocation à faire du profit » , détaille-t-il. Chaque année, la ferme produit 10 000 litres par an, qu’Aurélie et Vincent transformeront en fromage vendu ensuite en circuit court. Avec seulement 45 000 euros de chiffre d’affaire chaque année, il et elle ont néanmoins une vie très modeste. « On a clairement pas vocation à faire profit » , rappelle Vincent. 

« L’agro-industrie nous emmène dans le mur »

A 10h30, une petite voiture grise se gare à proximité du fournil. C’est Amélie. Elle vient régulièrement acheter son pain auprès d’Aurélie. Ce n’est pourtant pas une cliente comme les autres. Elle fait partie des 78 souscripteur·ices qui ont investi dans la ferme du jeune couple. En donnant plus de 400 euros à la ferme, c’est un acte avant tout militant pour elle. « L’agro-industrie nous emmène dans le mur. On atteint des dimensions hallucinantes qui ne sont plus du tout humaines. Il faut, selon moi, relocaliser au maximum pour faire face à ces grandes exploitations et les fermes citoyennes semblent être une des solutions ».

Ferme de Ty An Digor-Amélie dans le fournil. Elle est l’une des souscripteur·ices du GFA © Inès Khiari

Pour le sociologue Ali Aït Abdelmalek, fermes coopératives et grandes exploitations agricoles, sont deux pratiques incomparables. Basées sur des échelles bien différentes, l’une ne pourrait remplacer l’autre. « Ces fermes citoyennes vont intéresser un nombre conséquent de gens, sans remettre en cause la situation actuelle : Il ne faut pas confondre l’agriculture locale et territorialisée avec l’agriculture d’export. Il y a de la place pour les deux modèles ». Il rappelle néanmoins que la généralisation de ce type d’initiative reste une utopie. Selon lui, il est nécessaire de prendre du recul sur son efficacité. « Comme toute innovation, elle mérite d’être tentée. Il y a  cependant, un problème de temporalité. Pour parler de ce qui est entrain de se passer, cela nécessite un peu de recul dans le temps ».

« Ils ont voulu prendre mes terres »

Une chose est sûre, ces groupements fonciers agricoles  permettant de créer ses fermes citoyennes restent un moyen pour faire barrage à la spéculation foncière et au grignotage par les grandes exploitations. Ce modèle a en effet sauvé les terres de Bastien Moysan, un paysan locataire de la ferme du Guerniec à Daoulas, une commune dans le Finistère. Son histoire, Sten, Vincent ou Aurélie la connaissent tou·tes. Une tasse de café frais à la main, Bastien, cernes au visage, raconte son combat. Des bâillements successifs, signes du travail de la journée, viennent entrecouper son récit. 

Ferme du Guerniec à Daoulas-Bastien Moysan exploite les terres de la fermr depuis 15 ans © Inès Khiari

En 2019, Bastien se rend chez le notaire pour acheter les terres familiales qu’il exploite depuis 15 ans où il élève 8 vaches laitières et 22 têtes de bétail sur un modèle biologique. Mais un désaccord entre les membres de la famille l’en empêche. Il attend que les terres soient mises en vente pour les racheter. A sa grande surprise, il n’est pas seul lors de la vente. Quatre de ses voisins, dont deux des plus gros exploitants de la commune font des offres à plus de 100 000 euros. Une somme beaucoup trop importante pour Bastien. «  Ces agriculteurs cherchaient clairement à prendre mes terres pour agrandir leur espaces », s’insurge-t-il. Mais la mobilisation citoyenne en a décidé autrement, au point que la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural), l’organisme publique en charge de la régulation du foncier, décide de préempter les terres, c’est-à-dire de se substituer à l’acheteur en vue de les réattribuer à qui de droit. La Safer peut, en effet, exercer son droit de préemption dans le but de favoriser le développement de l’activité agricole.  « Je n’avais pas les 100 000 euros demandés, j’ai donc créé un GFA avec Terre de liens et aujourd’hui j’ai plus de 80 personnes qui ont investi dans ma ferme. Prochaine étape, créer mon auberge», conclut-il avec fierté, sourire béat. 

Dans cette région : Brest, Ouessant, Saint-Malo, Languedias