Le berger du Mont-Saint-Michel n’est pas (encore) sorti de sa bergerie
À Genêts, dans la baie du Mont-Saint-Michel, la justice a ordonné la démolition de la bergerie de François Cerbonney, suite à la plainte d’une association de protection de la nature. Mais des élus et des habitants soutiennent le berger, qui n’entend pas déménager.
« Ah bah voilà François ! À fond la caisse, juste devant la voiture de Charlie Hebdo ! ». D’un coup de menton, Christiane Horel désigne un 4×4 gris poussiéreux qui dévale l’allée, suivi d’une Twingo blanche. Les yeux rivés sur la route boueuse, François Cerbonney, propriétaire de la bergerie « Aude François », près de Genêts (Manche), commence à être habitué à la presse et aux allers-venues. Ce n’est pas la première fois que des inconnus, carnet et stylo à la main, viennent lui rendre visite dans sa bergerie récemment rebaptisée BAD pour « Bergerie à défendre ». « On a eu France 3, TF1 et l’AFP. Et dans les articles à venir, Le Figaro, trois pages dans Le Point, et maintenant Charlie Hebdo » énumère Didier Mayer, époux de Christiane et membre du comité de soutien à François Cerbonney.
L’histoire de cet éleveur d’agneaux de prés-salés a tout pour attirer les journalistes. Attaqué en justice par l’association écologiste Manche Nature, le berger est accusé de ne pas respecter la loi Littoral. Le collectif lui reproche, entre autres, de s’être installé illégalement sur un « espace remarquable » protégé en raison de sa valeur environnementale. En 2017, le Tribunal de grande instance de Coutances donne raison à Manche Nature et ordonne de démonter la bergerie… qui est toujours bien en place.
François Cerbonney avait jusqu’au 19 avril 2021 pour démolir sa bâtisse en bois située à quelques mètres des herbus, parcelles entre terre et mer typiques de la baie du Mont-Saint-Michel. Passé ce délai, la justice lui impose une astreinte de 150 euros par jour pendant quatre mois. Un mois est passé, et la BAD n’a toujours pas disparu du paysage. François Cerbonney n’a pas versé un centime. Il a décidé de ne pas respecter la décision de justice et de le faire savoir.
Suivant les conseils de Christiane Horel, communicante désormais retraitée, il se met à parler à la presse. L’homme, peu bavard, force sa nature pour dénoncer l’injustice dont il se dit victime. « François sait bien que sans les médias pour relayer notre combat, nous ne pourrons pas obtenir grand-chose. Qu’est-ce qu’on pourrait faire de plus ? S’attacher à la bergerie et foutre le feu dedans ? », provoque la sexagénaire, la main dirigée vers la grange, fraîchement vidée de ses bêtes.
Une construction illégale
François Cerbonney n’a pas toujours été un berger à déloger. Dans les années 2000, il hérite de la maison de ses parents et décide d’abandonner son job de cuisinier pour s’installer en Normandie. Son projet ? Élever des ânes à destination des chemins de randonnée de la baie du Mont-Saint-Michel, ainsi que quelques moutons. « Je me suis installé et j’ai remarqué que les agneaux produisaient une bonne viande, qu’ils nettoyaient les herbus, alors je me suis dit ‘pourquoi ne pas en faire mon métier’ ? », raconte l’éleveur, sourire en coin sur son visage creusé par la fatigue. Alors âgé de la trentaine, il tente de trouver un terrain sur lequel installer son élevage, mais se voit refuser quatre permis de construire. Malgré tout, il décide de construire sa bergerie en 2008 à Genêts. Dépourvu d’autorisation, il dépose une demande de régularisation en 2009 et obtient finalement un permis de construire a posteriori, en 2011.
Son installation discrète a néanmoins été repérée par l’association écologiste Manche Nature. Pour elle, la construction de la bergerie viole la loi Littoral, puisqu’elle est placée sur un « espace remarquable », une zone fragile et rare qui nécessite des mesures de protection particulières – les herbus et leur flore halophile permettent à des animaux de se nourrir comme la bernache cravant, un oiseau protégé en France depuis 1962. « François Cerbonney a construit sa bergerie de façon illégale sur une zone humide où broutent désormais plus de 350 bêtes d’élevage. C’est énorme, même en comparaison des bergeries alentours ! Sans parler des déchets que cela engendre », résume Alain Millien, trésorier de l’association Manche Nature. Un argument que Catherine Brunaud-Rhyn, maire de Genêts, a du mal à comprendre. « Ses moutons participent à l’entretien du milieu naturel. On ne peut pas dissocier les agneaux de prés-salés du territoire sur lequel ils évoluent et qui leur sert de nourriture. L’association, qui agit pour la protection de l’environnement, devrait avoir conscience que ces animaux jouent aussi un rôle important pour la biodiversité ».
Manche Nature redoute que l’exception Cerbonney ne devienne la règle. Déterminée à ne pas céder, l’association se bat pour éviter que son cas n’ouvre une faille dans la loi Littoral. « On va se retrouver avec trente bergeries ! », redoute Alain Millien, citant un projet de construction de bergeries porté par la Chambre d’Agriculture, finalement abandonné. « C’est le seul berger qui a ses installations sur la zone littorale, tous les autres sont en retrait », s’offusque le trésorier.
Dernier combat
Vêtu d’un bermuda, pieds nus, François Cerbonney ne cache pas son désarroi : « Quelle vie de merde… Toute l’énergie bouffée par cette histoire, sans parler du fric ». Ces dernières semaines ont été mouvementées. Entre le travail de la bergerie, la fin de la période d’agnelage et les différentes interviews, le temps file pour lui comme du sable entre les doigts. « J’ai passé un CAP de boucher il y a quatre ans, je veux vendre ma viande sur les marchés. Mais là, j’ai pris du retard. Je n’ai même pas encore commencé. Heureusement, je suis aidé par Christiane, Didier, et bien d’autres », relativise l’agriculteur, qui dit avoir eu du mal à demander de l’aide.
Pétitions, cagnottes, Christiane Horel tente par tous les moyens de maintenir son ami hors de « La cagnotte, c’est un fonds de garantie, comme une assurance s’il doit démonter la bergerie. C’est une façon d’assurer le quotidien parce qu’à tout moment, je sais qu’il peut péter les plombs » avertit l’ex-communicante, avant de poursuivre : « Si la Cour d’appel maintient la démolition de la bergerie, je ne sais pas comment il pourrait réagir ».
Pour l’association Manche Nature, la justice s’est prononcée, elle doit maintenant agir. Mais François Cerbonney attend surtout le mois d’octobre. La Cour d’appel doit réexaminer son dossier. Dos au mur, le berger attend patiemment ce qui devrait sonner la fin d’une longue bataille judiciaire : « Je résisterai jusqu’au bout, quitte à tout perdre. Avant, ça me tracassait plus. Maintenant que je suis soutenu, je ne doute plus. »