Les villages du parc naturel de l’Oise luttent contre le désert administratif
Plongés au cœur d’une immense forêt, les villages du parc naturel de l’Oise offrent un cadre de vie séduisant. Mais l’éloignement géographique et la fracture numérique obligent les pouvoirs publics à innover pour rester présents auprès de tou·tes les usager·ères.
Craignant de devoir faire la queue, Martine est arrivée en avance. Elle a entendu parler, par l’intermédiaire de la page Facebook de sa commune de 700 habitant·es, d’un nouveau service mis en place par la communauté de communes de Senlis. Deux fois par mois, une camionnette s’arrête dans chaque village, le temps d’une demi-journée. À l’intérieur, Marianne et Félicie, deux agentes territoriales, proposent aux habitant·es de les aider dans leurs démarches administratives. La Poste, Pôle Emploi, l’Assurance Maladie ou encore la CAF : la camionnette labellisée « France Services » agrège neuf services publics différents.
Il faut dire que dans les villages du sud de l’Oise, à seulement cinquante kilomètres de Paris, l’accès à l’administration n’est pas des plus aisés. Les calculs de France Stratégie montrent que l’Oise est un des territoires les plus sous-dotés en termes d’emplois publics de France. Pire : cette désertification a tendance à s’accroître, puisque quatre trésoreries ont fermé dans le département depuis le début de l’année. À première vue, la dématérialisation des services publics pourrait être une aubaine pour la ruralité. Mais avec la fracture numérique, les collectivités doivent redoubler d’efforts pour donner accès aux services publics à leur population.
« Les longues marches dans les bois, la tranquillité, à la retraite, ça n’a pas de prix », témoigne Michèle, une randonneuse accompagnée de deux de ses amies et voisines. « Mais il faut bien reconnaître qu’ici, on est loin de tout. » Le camion se poste aux abords de la Mairie, fermée en ce mercredi après-midi. Pas surprenant : elle n’est ouverte au public que sept heures et demie par semaine. Martine est rassurée : elle est la seule usagère présente. Elle qui se sentait un peu perdue pourra prendre le temps de discuter de sa situation.
Jusqu’alors assistante maternelle, Martine souhaite se reconvertir dans l’accueil d’enfants. Alors qu’elle imaginait retrouver un emploi immédiatement, sa conseillère Pôle Emploi l’a fait déchanter. Il est nécessaire de passer une formation, ce qui, à cinq ans de la retraite, plonge Martine dans la confusion.
Première épreuve : Martine n’arrive pas à se connecter à Mon Compte Formation, la plateforme en ligne mise en place par l’État, devenue guichet unique pour débloquer les fonds de son compte personnel de formation. Il est vrai que son fils, programmeur informatique, ne lui facilite pas la tâche. Le mot de passe qu’il a choisi est plus tarabiscoté qu’un code wifi. Difficile pour elle de recopier cette suite de chiffres et de lettres sans se tromper. Marianne et Félicie volent à sa rescousse.
« L’objectif, c’est néanmoins de rendre cette dame autonome », espère Marianne. Tandis que le gouvernement se donne pour objectif de dématérialiser 100 % des opérations administratives les plus courantes d’ici 2022, la dernière enquête de l’INSEE rappelle que l’illettrisme numérique reste répandu. Ainsi, un·e Français·e sur deux n’est pas en mesure de rechercher des informations administratives sur Internet. Les territoires ruraux sont davantage touchés : un·e habitant·e de commune rurale a 44 % de risques supplémentaires de ne pas savoir s’informer sur Internet qu’un Parisien.
« Allez demander à une personne de 80 ans de scanner un document ! », se désole Marianne « Déjà, quand on leur parle de PDF, ils nous regardent avec de gros yeux. » Les usager·ères désœuvré·es face à leur ordinateur constituent une part importante des visiteurs du camion. Il y a par exemple ce monsieur, qui, parce qu’il n’a pas coché la bonne case dans un formulaire, voit la retraite de son épouse bloquée. Il y a également cette dame de 65 ans qui, depuis qu’elle a perdu 500 euros dans une arnaque en ligne, se méfie d’Internet comme de la peste.
Pour un certain nombre de démarches, il reste toutefois nécessaire de se déplacer. Le camion n’a par exemple pas de quoi relever les empreintes biométriques, indispensables pour renouveler sa carte d’identité. Quant aux étranger·ères, ils et elles devront de toute façon passer par la préfecture, à vingt kilomètres. Ce qui n’est pas sans poser problème pour les moins mobiles.
Les villages de l’Oise Sud, au cœur de 20 000 hectares de forêts denses, sont le genre de communes où les rares piéton·nes que l’on croise sont ceux et celles qui descendent de leur voiture pour rentrer à la maison. Car au sein du parc naturel régional de l’Oise, point de salut sans voiture. Hors car scolaire, les transports en commun de Villers-Saint-Frambourg-Ognon se réduisent à un seul bus vers Senlis de la journée, à 8 heures 57.
Les soucis s’enchaînent pour Martine. La formation qu’elle doit suivre n’est réalisable qu’autour de Paris ; à 50 kilomètres de chez elle, donc. Les agentes lui proposent de regarder du côté du BAFA, le brevet d’animateur en accueil collectif de mineurs. Il est faisable dans la région. « J’ai bien fait de venir, s’amuse Martine. Sur Internet, j’avais l’impression de n’être qu’un numéro. »
Des gilets jaunes aux Maisons France Services
La création des Maisons France Services, dont le camion est une déclinaison itinérante, trouve son origine dans la crise des gilets jaunes. Elle a été décidée à l’issue du grand débat, il y a deux ans. Décentralisation, problèmes de mobilité : le dispositif vise à répondre à plusieurs problématiques soulevées à l’époque. Senlis était d’ailleurs la zone de l’Oise où les gilets jaunes étaient le plus structurés.
« Il n’y aurait pas eu la crise des gilets jaunes, nous l’aurions quand même mis en place », tient à assurer Hubert Gage, le directeur général des services de la communauté de communes. « De plus en plus, on constate que les administrations s’éloignent du terrain. Le tout numérique, c’est très bien, mais on perd des gens. »
Si le gouvernement promet la création de 2 000 Maisons France Services d’ici 2022, il faut toutefois relativiser la portée de nouveaux services qu’elles apportent. En effet, dans l’Oise, sur les douze créations de Maisons France Services depuis 2019, neuf d’entres elles correspondent au recyclage de dispositifs plus anciens, comme les Maisons de services au public, ou les Points Information Médiation Multiservices (PIMMS), structures associatives créés en 1995 à la suite des émeutes de Vaulx-en-Velin.
Pire, la labellisation France Services survient parfois en remplacement de la fermeture d’un service public. « Les étrangers qui viennent nous voir pour une naturalisation viennent car ils trouvent porte fermée à la préfecture », confirme Hervé Louis-Régis, directeur du PIMMS de Creil, labellisé France Services. « Or les Maisons France Services ne sont pas de la même qualité que ce qu’on peut trouver en préfecture. » Pour autant, Martine, en quittant le camion, se montre enthousiaste. Elle promet de faire de la publicité pour le camion itinérant à ses amies des villages environnants.
Car force est de reconnaître que le service gagne à être connu. Les quelques habitant·es interrogé·es, quoique ravi·es par le concept, n’en avaient ainsi pas entendu parler. À Courteuil, un village de 600 âmes où le camion s’était arrêté toute la matinée, même monsieur le maire avait oublié sa venue. Il promet toutefois de se rattraper au prochain passage du camion dans deux semaines, en en faisant la promotion sur la page Facebook de la commune.