Pêche de loisir : les jeunes mordent à l’hameçon

Pierre-Alexandre Avallet, moniteur à la Fédération nationale de pêche, propose à un collégien de tester un autre leurre. © Gabriel Bray

La pêche séduit les moins de 25 ans, envieux·ses de dépoussiérer un sport aux préjugés tenaces. Reportage en Auvergne-Rhône-Alpes, à la rencontre de cette nouvelle génération.

Pierre-Alexandre Avallet donne ses consignes à Elyès (13 ans) pour bien lancer son hameçon.

Les berges du réservoir du Grand-Large, à dix kilomètres de Lyon, sont très prisées des pêcheur·euses de la région. Un lieu calme, avec des brochets et des perches en nombre – toutes les conditions sont réunies pour que les poissons mordent à l’hameçon. C’est ici que l’association sportive du collège Léonard de Vinci de Chassieu (Rhône) initie ses élèves à la pêche. Chaque mercredi après-midi, une dizaine de collégiens s’y retrouvent depuis le mois d’avril. Juchés sur les pontons du plan d’eau, les jeunes lancent les leurres accrochés au bout de leur fil de pêche avec plus ou moins de dextérité, mais toujours avec envie.

« Tout me plaît dans la pêche », affirme Andreas, 13 ans, entre deux tours de moulinet. Cet élève de 4e avait déjà eu l’occasion de s’entraîner avec ses parents et sa nourrice. Son enthousiasme est contagieux. Dans le département du Rhône, près d’un·e pêcheur·euse sur trois a moins de 25 ans. Une évolution qui vient démentir certains clichés – la pratique est souvent jugée ringarde et vieillissante.

Les jeunes du collège Léonard de Vinci accrochent les leurres au bout de leur canne. Pierre-Alexandre Avallet leur explique comment faire. © Gabriel Bray

Pour ces enfants, l’objectif est d’abord de découvrir la nature. « Les élèves sont toujours contents d’aller dehors, même en rentrant bredouille », confirme Nicolas Chevret, 40 ans, professeur de sport au collège Léonard de Vinci, qui supervise le groupe. L’établissement a lancé cette activité pêche en septembre, en partenariat avec la Fédération départementale du Rhône, qui prête un moniteur ainsi que l’ensemble du matériel. Les sourires sur les visages des enfants témoignent de la réussite du projet qui devrait être reconduit l’an prochain. L’activité a même bénéficié de la pandémie de covid-19 car, se déroulant en plein air, elle fait partie des rares à avoir pu être maintenues. « La jeunesse est l’avenir de la pêche », vante Pierre-Alexandre Avallet (42 ans), chargé de développement au sein de la Fédération et moniteur de l’atelier hebdomadaire.

L’évolution des techniques

Les jeunes pêcheurs ont de nouvelles préoccupations. Beaucoup privilégient le no kill et relâchent les poissons. « La pêche pour manger n’est pas leur priorité », explique Richard Baumann, 48 ans, guide de pêche. Nombreux sont ceux qui évoquent l’envie de ne pas dépeupler les cours d’eau comme ont pu le faire leurs parents.

Une fois attrapé, la truite est relâchée, sans être tuée. © Gabriel Bray

Faire des kilomètres en pleine campagne, à la recherche du spot parfait, n’est même plus nécessaire. La pêche se pratique maintenant au pied des immeubles – on l’appelle le street fishing (« pêche de rue »). Briag Le Flohic, 20 ans, Toulousain exilé à Lyon pour ses études, en raffole. Ce petit-fils de pêcheur avait l’habitude des torrents de montagne dans les Pyrénées. Mais, à son arrivée sur les bords du Rhône, son envie de pêcher a pris le dessus. « Je n’avais jamais fait de street fishing et en arrivant ici, je me suis dit que j’allais tester, explique Briag. Le seul problème, en ville, c’est que c’est un peu moins tranquille ». Mais pas besoin de perdre du temps, d’avoir une voiture, de faire des kilomètres… Briag Le Flohic claque la porte de chez lui et emporte seulement sa canne et un leurre, rien de plus. Lui qui habite non loin du musée des Confluences, lieu emblématique du tourisme lyonnais, peut profiter de la vue pour ses sessions de street fishing.

Briag Le Flohic pratique le street fishing sur les bords du Rhône, non loin du musée du Confluence. © Gabriel Bray
Une passion qui se partage

La pêche se popularise aussi grâce à YouTube et aux réseaux sociaux, qui renvoient l’image d’un loisir dans l’air du temps. Installés à Saint-Maurice-de-Lignon (Haute-Loire), les frères Hugo et Thomas Granjon, alias Les Mordus de la Truite, ont lancé leur chaîne YouTube en 2016. Avec près de 18 000 abonné·es, ces deux frères de 22 et 20 ans vantent dans leurs vidéos l’évasion et le retour à la nature. « De plus en plus de jeunes viennent à la pêche grâce à YouTube, confie Thomas. Il suffit d’avoir une rivière à côté de chez soi et, avec une licence à 50 euros, tu peux commencer à pêcher. » 

Hugo (à gauche) et Thomas (à droite) Granjon, alias Les Mordus de la Truite totalise près de 18 000 abonnés sur YouTube. © Gabriel Bray

Une envie de changer l’image de leur sport partagée par Valentin Feuerle, 22 ans, et Marius Dalud, 18 ans. Ces amis d’enfance, qui pêchent régulièrement depuis trois ans, ont décidé de lancer un compte Instagram, Goujons de Lyon, pour exposer leurs prises avant de les relâcher. Dans le passé, il n’a pas été toujours facile d’assumer leur passion face aux moqueries des élèves qui voient la pêche comme un sport de vieux.  « Il y en a toujours qui trouvent ça naze, mais on leur répond que c’est notre passion, et qu’ils comprendront peut-être une fois qu’ils auront un poisson au bout de la ligne », s’amuse Marius Dalud, pourtant rentré sans la moindre touche des berges du lac des Eaux Bleues, à une dizaine de kilomètres de Lyon.

Père, grand-père ou arrière-grand-père, la pêche se transmet

L’ombre des anciens n’est jamais loin. Beaucoup de jeunes doivent leur passion à un père, un grand-père féru de pêche. « J’ai commencé à cinq ans. J’avais une canne en bambou et un bouchon en liège pour attraper des petits poissons », raconte Briag Le Flohic, le street pêcheur. J’ai d’ailleurs récupéré le matos de mon grand-père pour m’essayer à la pêche à la mouche. Sa canne a plus de 50 ans ! »

Valentin Feuerle (à droite) part uniquement avec sa canne à pêche et une boîte de leurres pour ses sessions pêches avec son ami d’enfance, Marius Dalud (à gauche). © Gabriel Bray

Si la pêche rajeunit, elle peine encore à attirer les femmes. En 2019, sur plus de 1,1 millions de cartes de pêche annuelles vendues par la Fédération nationale, seules 50 000 étaient achetées par des femmes. Un chiffre très faible qui s’explique par des préjugés encore tenaces sur un sport qu’on imagine masculin, viril et réservé aux hommes. « Mon père emmenait pourtant mes deux sœurs pêcher, raconte Briag Le Flohic. Elles connaissent les bases, mais n’ont jamais vraiment eu envie de continuer. » La Fédération tente de les séduire avec des cartes annuelles à seulement 30 euros, contre 100 euros pour un homme. Une opération qui ne porte pas encore ses fruits car les mentalités mettent du temps à évoluer. L’initiation à la pêche du collège Léonard de Vinci en a fait l’amer constat, pour cette première année. Malgré des ambitions de mixité, aucune fille ne s’est manifestée pour faire partie des néo-pêcheur•euse•s rassemblé•e•s sur les berges du Grand Large.

Dans cette région : Saint-Rambert en Bugey, Bourg-de-Péage