L’animal comme thérapie pour les troubles psychiques
Soigner, apaiser, redonner confiance. Mieux que la psychothérapie ou la kiné, chevaux et ânes permettent de traiter des troubles psychiques et psychomoteurs. Notamment pour les enfants. Pour autant, la médiation animale peine à être reconnue.
En arrivant aux Écuries d’Emportier, à Saint-Jory, près de Toulouse, Maxime ne tient pas en place. « Étoile, Étoile », s’exclame-t-il à la vue du poney qui va l’accompagner pendant sa séance d’équithérapie. Atteint du syndrome de l’X fragile, une maladie génétique rare, l’enfant de 9 ans souffre d’un retard mental. Il n’a ni marché ni parlé avant deux ans et demi. Suivi par un orthophoniste, un psychologue et un psychomotricien, Maxime a aussi recours chaque semaine à Géraldine, équithérapeute depuis six ans.
« L’équithérapie est un soin psychique avec le cheval comme médiateur », explique la professionnelle. Elle commence par proposer à Maxime de brosser le poney. Un moyen de l’aider à mémoriser les mots. « Comment ça s’appelle ? », demande l’équithérapeute en montrant un instrument à petites lames dentelées servant à nettoyer la peau de l’animal. « L’étrier », réplique l’enfant. « Non, c’est l’étrille », reprend-elle en écrivant le mot sur une ardoise, pour aider Maxime à le prononcer. « L’étrier, c’est l’endroit où l’on met ses pieds lorsqu’on monte sur le cheval ».
Se soigner avec un poney aide aussi Maxime à se concentrer, lui qui est rapidement distrait par tout ce qui l’entoure. « Ne t’occupe pas du cheval d’à côté, reste avec Étoile », lui intime Géraldine. Un travail d’autant plus important que le cheval réagit à ce que fait l’enfant. « Tu vois, tu viens de lui faire peur », fait remarquer l’équithérapeute après que Maxime a poussé un cri. « Allez, on essaye de garder le silence pour qu’Étoile reste calme », suggère-t-elle, tout en brossant avec lui le poil blanc de l’animal.
Vient ensuite le temps pour Maxime, après avoir curé les sabots d’Étoile et enfilé son casque, de monter sur la selle. C’est là qu’intervient la dimension psychomotrice de l’exercice. « Le fait de tenir les rênes permet de travailler l’équilibre », explique Géraldine. Après seulement sept séances, le résultat est déjà perceptible. « Depuis début avril, il fait du vélo sans les petites roues » se félicite Christelle, sa mère. L’équithérapie a surtout permis à Maxime de canaliser son énergie. « Sur le trajet pour venir il parle beaucoup, et quand on part d’ici, je ne l’entends plus », se réjouit la maman.
Apaiser est l’un des apports premiers de l’équithérapie, et plus largement de la médiation animale. Développée dans les années 1950 aux États-Unis, celle-ci consiste à faire intervenir des animaux domestiques auprès de patient·es souffrant de divers troubles, aussi bien physiques que cognitifs, psychologiques ou sociaux.
Avec près de 30 000 personnes ayant suivi une équithérapie en 2015, le soin par le cheval est l’un des plus répandus en France. L’avantage de l’équidé est que sa taille importante le rend moins docile et oblige donc les patient·es à l’apprivoiser. La médiation animale existe aussi avec de plus petits animaux comme le chien, le lapin, la poule, le cochon d’Inde ou encore la tourterelle.
À la ferme écocitoyenne de la Bouzigue à Montaigut-sur-Save, Rayane, 6 ans, s’étend de tout son long sur le dos de l’âne Patou. Alex, 9 ans, préfère lui se promener dans l’enclos et caresser Chardon quand bon lui semble. Atteints de troubles autistiques et malvoyants, les deux sont souvent confrontés à des crises d’angoisse au sein de leur structure d’accueil. Le contact avec les ânes vise à les calmer.
« Contrairement à l’homme, l’âne ne juge pas. Il a un côté très apaisant, commente Laetitia, leur intervenante en médiation animale. Sentir son coeur, sa chaleur, c’est très réconfortant ». Un effet positif que remarque l’éducatrice des deux enfants à l’Institut des jeunes aveugles. « Il n’y a jamais de cris ici comme on peut en connaître à l’institut », souffle cette dernière.
Faire progresser, apaiser, ou redonner confiance. Christelle souffre depuis deux ans d’un trouble de conversion. Une maladie qui l’a fait perdre en motricité, au point de se retrouver en fauteuil roulant pendant de longues semaines. Loin des salles de kiné, c’est en pleine nature, au Poney Bleu à Nailloux, que Christelle a choisi de se soigner par l’équithérapie depuis avril. Pour l’instant, elle se contente de marcher aux côtés de Rio, son cheval le temps de la séance.
« Ce ne sont pas des choses que l’on peut faire avec la kiné ou un autre soin »
Christelle
Mais Fanny, son équithérapeute, ne désespère pas de la voir s’asseoir sur la selle. « Il y a trois mois, elle n’avait plus goût à la vie, aujourd’hui elle me parle de monter à cheval », s’émeut Corinne, sa conjointe depuis trente-deux ans venue assister à la séance. Mercredi dernier, Christelle a déjà accompli un exploit : prendre le volant de sa voiture jusqu’à Leucate. Une performance inimaginable pour elle il y a quelques semaines. « Sans l’équithérapie, je n’aurais pas pu conduire de nouveau », affirme la patiente.
Christelle en est convaincue, aucune autre thérapie n’aurait pu lui redonner davantage confiance. « Ce ne sont pas des choses que l’on peut faire avec la kiné ou un autre soin », affirme-t-elle. Contrairement à la psychothérapie seulement basée sur la parole et la kinésithérapie menée par un·e professionnel·le de santé, l’équithérapie confère plus de responsabilités aux patients et patientes. « Le cheval a quand même une sacrée force, explique Géraldine, équithérapeute. Le fait de s’occuper de lui prouve aux patients qu’ils sont capables de faire beaucoup des choses ».
Luc Cantaloube-Ferrieu, médecin à Toulouse, n’hésite pas à recommander la médiation animale à certains patients. « Je trouve ça extrêmement intéressant, s’enthousiasme le docteur. J’ai vu des personnes qui ne supportaient pas la pédicurie mais qui avec un chat ou un chien sur les genoux se laissaient faire ». « De plus en plus de psychiatres nous envoient des patient·es », abonde Julie Martouzet, présidente du syndicat national interprofessionnel des praticien·nes en médiation équine.
Pour autant, la médiation animale peine encore à être reconnue. « C’est en passe de l’être mais c’est laborieux », reconnaît Fanny, équithérapeute, dont les prestations ne sont pas remboursées par la sécurité sociale. Les patient·es doivent donc sortir une cinquantaine d’euros de leur poche à chaque séance.
Pour l’instant, cette thérapie n’est considérée que comme un complément et vient s’ajouter à une prise en charge classique : pédiatrie, psychiatrie, orthophonie ou psychomotricité. Si certains diplômes sont reconnus par l’État, la loi n’exige aucune certification pour exercer le métier. Tout le monde est donc autorisé à se dire équithérapeute et proposer ses services à ce titre.
Comme la psychothérapie, les effets de la médiation animale sont attendus au bout de plusieurs séances. Mais c’est justement parce que ses résultats à long terme ne sont pas démontrés que la médiation animale peine à être reconnue. « C’est quelque chose de difficile à mesurer parce que ce sont de petites choses que l’on observe chaque semaine », explique Laetitia, intervenante en médiation de la ferme de la Bouzigue.
« Le temps de la séance, les enfants sont apaisés, remarque l’éducatrice de Rayane et Alex. Mais je n’ai pas le recul suffisant pour dire que ça agit sur leur quotidien à long terme », avoue-t-elle. Pour que leur discipline soit reconnue, les intervenant·es en médiation animale comptent sur son déploiement. « Plus nous serons de praticien·nes, plus la médiation animale résonnera avec le monde médical », espère Julie Martouzet. A la fin de la séance, impossible de décoller Rayane du dos de Patou. « Il pourrait y rester des heures », sourit Laetitia. « Allez viens, on va prendre le goûter ». L’enfant se serre une dernière fois contre l’animal et met pied à terre.