La dure loi de la « vanlife »

Comme Alex, de nombreux Français abandonnent la vie citadine pour vivre en nomade dans un van aménagé. © Mehdi Bouzouina

Ils et elles rêvaient de virées mémorables au volant de leurs fourgons aménagés, mais déchantent à cause de la solitude, de problèmes mécaniques, de tracasseries administratives… La réalité des « vanlifeur·ses » est moins idyllique que leurs belles photos postées sur Facebook ou Instagram.

« Sans le van, on peut voyager, mais pas de la même façon ». Pour Adèle et Nicolas, le choix de tout plaquer pour vivre au grand air est apparu comme une évidence. En 2019, le couple se sent à l’étroit dans son appartement de banlieue parisienne. Il achète alors un Renault Trafic, avec pour objectif de l’aménager afin d’y vivre six mois en visitant l’Europe de l’Est.

« Ce voyage-là, je ne veux pas attendre la retraite pour le faire », prévient Nicolas. Cet amateur de grands espaces est encore essoufflé par son footing réalisé dans le tumulte de Vélizy-Villacoublay, au sud de Paris. Il y a deux ans, lui et sa compagne, tous·tes deux ingénieur·e, ont emménagé à proximité d’une zone industrielle pour des raisons professionnelles.

Adèle et Nicolas, 27 ans, sont des mordu·es de van aménagé. Le couple souhaite quitter le confort de son appartement de Vélizy-Villacoublay pour aller voyager plusieurs mois dans un fourgon en quête de liberté. © Mehdi Bouzouina

« Nous n’étions pas heureux dans cette vie : quitte à la quitter, autant la quitter vraiment », abonde Adèle, en évoquant leur projet. Les deux sportif·ves partagent leurs rêves et inquiétudes sur l’un des nombreux groupes Facebook dédiés à ce mode de vie. On y trouve des photos de paysages à couper le souffle et des histoires de rencontres insolites, commentées par des centaines de milliers d’envieuses et d’envieux.

Sur le groupe Facebook Vanlife France (environ 40 000 membres), les passionné·es de van partagent les photos de leur nouvelle vie sur la route.

Voyager librement et aller à la rencontre de celles et ceux qui souhaitent s’émanciper des contraintes de la société sédentaire, tel est le crédo des « vanlifeurs ». Inspirés par l’imagerie de la contreculture des années 1960-70 avec ses fameux combis Volkswagen, ou le film Into the wild (réalisé par Sean Penn en 1998), ces nomades d’un genre nouveau partagent un objectif : se rapprocher de la nature pour refaire leur vie. En 2020, plus de 11 000 Français·es auraient franchi le pas en faisant homologuer leurs fourgons aménagés selon UNI VDL, le Syndicat des véhicules de loisirs.

Sur les pavés, les premières galères

Pour Alex, la vie dans un fourgon aménagé dure depuis deux ans. À l’approche de ses 60 ans, il a fait un choix radical. L’ancien intermittent du spectacle a rendu les clés de son studio des quartiers Nord de Marseille, qu’il jugeait trop bruyants et pollués, pour parcourir la campagne française en van. « Je voulais vivre des choses, vivre encore. »

Il tombe sous le charme d’un Renault Master sur un site de petites annonces. Mais Jean-Paul – le surnom qu’il a donné au véhicule, comme il est d’usage de le faire dans le monde des fourgons aménagés – lui donne du fil à retordre. « Le prix de réparation a fini par être aussi élevé que le prix d’achat, confie-t-il, avec une bonhomie sans faille. Une pièce endommagée a été difficile à remplacer : j’ai fini par jeter l’éponge ».

Après Jean-Paul, vint Jean-Paul 2, puis Jean-Paul 3, toujours des Renault Master. Mais, il y a huit mois, une sortie de route pour éviter un motard condamne le véhicule à la casse. « Toute ta vie est là-dedans. Donc quand tu as un accident, il faut tout recommencer », regrette le baroudeur.

Il vit donc à l’intérieur de Jean-Paul 4, une ambulance des années 1980 qu’il a aménagée tout seul. A l’intérieur, un accoudoir de fauteuil se transforme en support de table, un meuble télé devient un siège. Alex, qui a été crooner, prévoit même de recycler une de ses guitares en crédence de cuisine.

Dans le fourgon d’Alex, tout est issu de la récupération. Il regrette le matérialisme de certains « vanlifeur·euses » qui accumulent les gadgets high-tech sans histoire. © Mehdi Bouzouina
Le casse-tête de l’aménagement

Contrairement à lui, beaucoup peinent à franchir le premier obstacle de la « vanlife » : l’aménagement de l’utilitaire. Pour des raisons de budget, et afin d’y ajouter une touche plus personnelle, la plupart sont contraint·es de réaliser une partie des travaux eux-mêmes.

Sur le papier, la démarche est séduisante, notamment parce qu’elle permet de faire des économies : un van aménagé livré clé-en-main coûte entre 45 000 € pour un design d’entrée de gamme, et plus de 100 000 € pour certains modèles faits sur-mesure. Mais les « vanlifeuses » et « vanlifeurs » ne prennent pas nécessairement la mesure des chantiers qui les attendent. Par ailleurs, l’engouement pour ce type de démarche allonge les délais de livraison de certaines pièces très recherchées comme les toits ouvrables.

« Nous avions commandé le toit ouvrable en septembre, mais, après plusieurs reports, nous ne le recevrons qu’en juin », explique Adèle et Nicolas. En attendant, leur van flambant neuf prend la poussière dans un garage de la région parisienne. Seules trois fenêtres ont été découpées sur les côtés et au niveau du coffre.

La laine de verre isolante attend dans un carton, comme le reste des matériaux nécessaires à la construction de leur cocon sur roue. « Nous souhaitions continuer les réparations dans le Beaujolais, avec les parents de Nicolas qui sont bricoleurs. Mais, en attendant le toit, nous sommes bloqués », regrette Adèle.

Le toit ouvrable est la pièce-maîtresse du van aménagé : elle permettra à Adèle et Nicolas de se tenir debout dans leur van. En attendant sa livraison, le reste des travaux est en pause. © Mehdi Bouzouina
Embûches administratives et isolement social

Être en mesure de faire soi-même l’ensemble des travaux n’est pas forcément une garantie de rapidité. Milène, architecte, et Gautier, ébéniste, tous·tes deux 25 ans, ont acheté un Citröen Jumper pour 6 000 euros en décembre 2019. « On cherchait à changer de cadre de vie : le van était le meilleur moyen d’arrêter de débattre », résume Gautier. Sensible à la cause environnementale, le couple souhaitait faire un tour de France des éco-lieux pour découvrir les alternatives possibles à la société de consommation. Acheté en Suisse, Alphonse – le prénom qu’ils ont donné au fourgon – disposait d’une carte grise provisoire de quatre mois.

En février, le couple fait une demande de carte grise définitive. Mais il lui manque un certificat d’authenticité du véhicule. Le confinement change la donne, Gautier et Milène sont contraint·es de retourner vivre chez leurs parents en Alsace, et le dossier tarde à être traité par l’administration. Il faudra attendre leur passage dans l’émission Ça peut vous arriver, sur RTL, pour qu’il et elle finissent par recevoir le précieux sésame en avril 2021, un an plus tard, le ministère de l’Intérieur ayant eu écho de leur désarroi.

Pour d’autres, le fait de ne pas avoir d’adresse fixe est un obstacle à toute démarche administrative, de l’ouverture d’un compte bancaire à l’accès aux droits sociaux. « Les personnes nomades font face à de nombreuses contraintes normatives et sociales. Il est compliqué de vivre dans les marges, les interstices », commente Benjamin Dubertrand, doctorant en anthropologie à l’Université Toulouse 2, qui s’intéresse aux modes de vie alternatifs des néo-ruraux.

Alex a fait le choix de rediriger son courrier vers la boîte aux lettres d’un ami. Mais comme l’explique Benjamin Dubertrand, le fait de ne pas avoir d’adresse à soi peut aggraver l’isolement des personnes. Pour certain.es, vivre en van est déjà une façon de prendre ses distances.

« Pour beaucoup, tu vis dans un camion, donc tu es marginal »

Une fois sur la route, la « vanlife » n’est pas faite pour tout le monde. « Au moment d’emménager dans le fourgon, tu ne réalises pas tout de suite ce que tu viens de faire », prévient Alex. Les premiers froids, les premiers moments de solitude, sont pesants. Lui qui comptait retrouver ses ami.es d’enfance en sillonnant la France a été déçu. Plus grand-monde n’est là. « Les gens n’ont pas grandi comme moi, ils sont dans la consommation, et ils ont beaucoup de soucis », regrette celui qui s’est installé temporairement sur la place des fêtes de Saint-Rambert en Bugey, dans l’Ain, pour exercer une mission d’aide-soignant. Et espère bien rencontrer du monde.

Alex et son chien Gillou ont investi le parking de la place des fêtes de Saint-Rambert en Bugey (Ain). Contrairement aux camping-cars, les fourgons présentent l’avantage de pouvoir stationner en ville. © Mehdi Bouzouina

Ce qui est le plus difficile, il le concède, c’est le regard des autres. « Pour beaucoup, tu vis dans un camion, tu es un marginal », regrette-t-il. L’anthropologue Benjamin Dubertrand le confirme : les personnes qui défient les normes de la sédentarité et du salariat ont tendance à être considérées avec suspicion.

Pour rassurer les habitant·es de Saint-Rambert en Bugey, Alex a trouvé une solution. « J’ai collé une fiche sur la portière pour expliquer que je travaille à la maison de retraite ». Histoire de montrer qu’il fait partie du village. Les locaux viennent à sa rencontre, attirés par l’ambulance, et par Gillou, un chiot abandonné adopté au début du mois de mai. L’intérêt grandissant pour la « vanlife » permettra peut-être de changer la donne.

Dans cette région : Saint-Rambert en Bugey, Bourg-de-Péage