Collections de végétaux : les jardins secrets des particulier·ères
En France, il existe une soixantaine de collections végétales privées, rassemblant des variétés rares. Elles sont souvent entretenues par des amateur·trices guidé·es par l’amour des plantes et qui y consacrent tous leurs efforts.
La maison d’Olivier Colin ressemble à n’importe quelle autre habitation du Raincy, une ville tranquille au beau milieu de la Seine-Saint-Denis (93). C’est une bâtisse datant des années 1960, construite sur deux étages. Derrière se trouve un jardin de presque 500 mètres carrés, bien entretenu, avec une pelouse ornée d’îlots de végétation dense et luxuriante. Ce sont des trésors d’Olivier Colin : deux vastes collections végétales. Ce médiateur à la MSA (Mutuelle Sociale Agricole), âgé de 57 ans, accumule depuis plus de trente ans des dizaines d’espèces de Mahonias (57) et d’Aspidistras (41). Olivier n’a aucune formation de botaniste ou d’horticulteur. Mais ses collections sont parmi les plus importantes au monde, tant par la rareté des espèces cultivées que par leur nombre.
Le fruit du hasard et de la curiosité
Dans les années 1980, alors étudiant en histoire et en sciences sociales, Olivier apprend que ses parents vont abattre l’immense cèdre qui occupe le terrain de sa maison d’enfance. L’arbre tombe, laissant une place immense. Olivier veut participer à la réalisation du nouveau jardin. « Je n’y connaissais rien, mais j’étais curieux d’en apprendre plus sur les plantes que je mettrais sur le terrain, se souvient-il. Alors je suis allé voir des pépiniéristes pour me renseigner. Comme j’avais un profil universitaire, j’ai aussi acheté beaucoup de bouquins de botanique et j’ai commencé à m’intéresser à des espèces incongrues. »
S’improvisant paysagiste, il découvre la variété Mahonia, des arbustes ne dépassant pas trois mètres de haut et originaires d’Asie et d’Amérique, au feuillage comparable à celui du houx. Ils s’adaptent bien au climat parisien. Les mahonias ont la particularité de faire poindre leurs grappes de petites fleurs jaunes en mars, très tôt dans la saison. « En me renseignant sur la flore asiatique, je suis aussi tombé sur les Aspidistra, des plantes qui ressemblent au muguet » explique le collectionneur, en montrant la dizaine de pots alignés le long du mur de sa maison. La découverte de ces plantes méconnues en Europe pique la curiosité du jeune Parisien, qui commence à les collectionner.
Peu à peu, Olivier Colin devient pointu. Les pépiniéristes d’Île de France sont dépassé·es, ils et elles ne peuvent plus fournir les espèces qu’il demande. Il profite alors de ses vacances pour récolter des plantes introuvables en Europe, dans des jardins publics chinois ou dans les forêts thaïlandaises. « Enfant, je collectionnais les pièces de monnaie, rappelle-t-il. J’ai toujours eu un intérêt pour la rareté ». Il souligne néanmoins que prélever des plantes dans la nature est illégale dans la plupart des pays du monde. D’après lui, elle est tolérée si on est « raisonnable ».
Collectionneur·euse : une passion qui demande de s’investir
Sa fierté : un arbre au tronc dégarni, le Mahonia Lancasteri, collecté en 1994 en Chine par un botaniste japonais qui n’a pas vu son caractère exceptionnel. Grâce à un ami, Olivier Colin a récupéré cet arbre, et a découvert une espèce encore inconnue des scientifiques. Après des années de bataille pour faire valoir ses arguments, il a fini par réussir à faire paraître la description officielle de l’arbuste dans la revue scientifique à comité de lecture Phytotaxa, très réputée. Pour lui, cette première publication est une fierté. Posséder l’unique individu domestiqué au monde l’est encore plus. Et certaines espèces se font de plus en plus rares à l’état naturel. Comme ce mahonia collecté dans un bosquet du Mexique : « L’état de son environnement d’origine, victime des feux et de la déforestation, me fait penser que c’est une espèce très probablement menacée à l’état naturel. »
Fort de spécimens uniques, il fait labelliser ses mahonias collection nationale par le Conservatoire des Collections Végétales Spécialisées (CCVS) en 1996. Cette association reconnaît et répertorie les plus belles collections de France, qu’elles soient gérées par des collectivités, des entreprises ou des particulier·ères comme Olivier Colin. Il y en a 66 comme la sienne en France. En tout, 332 collections ont été labellisées.
Des volontés et des moyens différents
Le Conservatoire reconnaît l’importance des collectionneur·euses privé·es pour la préservation des espèces végétales. « Ce sont des lieux de résilience par rapport aux évolutions climatiques récentes, elles permettent de constituer des sortes d’archives vivantes », explique Françoise Lenoble-Prédine, présidente de l’association. « Les particuliers sont d’autant plus importants que les collectivités ont de moins en moins la volonté d’investir du temps et de l’argent dans de tels jardins, ajoute-t-elle. Souvent, elles le font à l’initiative d’un fonctionnaire passionné. Mais lorsqu’il est remplacé, la collection ne perdure pas », déplore la présidente.
Aujourd’hui, les efforts du Conservatoire se concentrent sur la pédagogie, pour rendre accessibles ces collections privées et diffuser les connaissances. Les collectionneur·euses particulier·ères comme Olivier Colin sont répertorié·es sur le site du Conservatoire et peuvent être contacté·es pour des visites. Le passionné se dit heureux de faire découvrir son jardin, mais il reconnaît que ce n’est pas toujours facile : « Je travaille, donc les visites sont forcément le weekend, et il faut que je sois à la maison à ce moment-là, avec le temps de le faire. »
Un autre niveau de collection privée : le mécénat
D’autres ont leurs portes grandes ouvertes. Au château de la Bourdaisière, près de Tours (Indre-et-Loire), Louis-Albert de Broglie dispose d’un jardin à la française dont la collection de tomates a été labellisée par le Conservatoire en 1996. C’est l’une des plus vastes de France. Le fils de Jean de Broglie, ancien secrétaire d’Etat sous Pompidou, a commencé en 2010 une collection de dahlias, qui compte aujourd’hui plus de 400 variétés différentes. Les visites sont ouvertes tout l’été sous le patronage de Nicolas Toutain, le jardinier en chef, employé à temps plein. À 37 ans, en pull léger sur une chemise, l’homme présente aussi bien que le potager.
Affairé à planter des tubercules de dahlias tout juste sortis de la cave, Nicolas Toutain reconnaît que la collection privée nécessite d’immenses efforts. En mars, il faut replanter tous les dahlias et semer les 700 variétés de tomates. « L’organisation est stricte » explique-t-il en montrant de minuscules cases de semis étiquetées consciencieusement et référencées dans un tableau.
Malgré leur ampleur, les collections se constituent presque gratuitement : « Les nouvelles variétés proviennent souvent d’échanges avec d’autres passionnés, voire d’amateurs, qui nous les envoient. J’assure le renouvellement chaque année avec nos propres graines. » La vente des billets d’entrée couvre les coûts annexes, principalement le terreau. Mais le plus gros investissement reste le salaire du jardinier, qui, sans dévoiler le montant de celui-ci, reconnaît « gagner convenablement sa vie ».
La transmission, une affaire épineuse
Chaque année, près de 20 000 touristes viennent voir les collections de Broglie. L’intérêt est manifeste, mais tout·e collectionneur·se se pose la question de la transmission de son fantastique patrimoine végétal. A la Bourdaisière, les tomates survivront sûrement à Albert de Broglie grâce à la structure pérenne que représentent le château et son domaine. Si le château est vendu, le potager devrait subsister, et le ou la nouveau·elle propriétaire fera très probablement aussi appel à un·e jardinier·ère pour s’en occuper.
Olivier Colin, lui, n’a pas de successeur·se. « Je n’ai pas d’enfants, et personne ne se paierait ni ne donnerait de son temps pour reprendre ce genre de collection » lâche-t-il, sans remords. « Je ne peux pas demander à d’autres d’être aussi passionné que moi de mahonias !, ajoute-t-il en riant. Pour préserver la diversité de ces plantes, il multiplie ses spécimens rares pour en donner des exemplaires à d’autres collectionneurs de Mahonias. « Ma collection est assez complète aujourd’hui, j’en suis fier. C’est une forme d’accomplissement personnel, c’est mon œuvre, et elle disparaîtra un jour, comme moi. C’est comme ça » conclue-t-il paisiblement.